Ce millésime 2024 récompense deux tables : l’une dans le Sud de la France avec Fabien Ferré, le plus jeune chef à décrocher le graal à 35 ans et d’un seul coup en l’espace d’un année, suite à une passation réussie avec Christophe Bacquié ; la seconde à Paris avec le chef Jerôme Banctel, 52 ans, qui arrive au sommet de son art huit ans après avoir décroché la deuxième étoile.
Le Castellet (83) : La Table du Castellet
Originaire de Bourgogne, fils de chocolatiers-pâtissiers et petit-fils d’agriculteurs, Fabien Ferré a travaillé ici même pendant dix ans comme second auprès du chef Christophe Bacquié. Non pas dans l’ombre de son mentor, mais bien sous sa férule bienveillante et émancipatrice. Aujourd’hui, seul en scène, mais toujours solidement entouré de ses fidèles, il confirme tous les espoirs placés en lui. Sa sensibilité aux produits méditerranéens, poissons, fruits et légumes, qu’il aime à choisir en personne sur les marchés – est celle d’un esthète. Elle rappelle celle d’un Matisse qui aurait succombé à la lumière de la Provence. Artiste sensible, il est aussi un technicien très expérimenté : ses cuissons chirurgicales, comme ses sauces, jus et autres émulsions extrêmement concentrés, montrent qu’il a retenu le meilleur de son compagnonnage avec Christophe Bacquié. La crevette carabineros et sa sauce au corail de têtes de crevettes – la mer en bouche, tout simplement – réveillée par la pulpe de citron confit est un bonbon iodé explosif. L’encornet à la provençale est arrosé d’un jus à la provençale parfumé à l’ail, au persil et à la marjolaine, qui vient révéler et réveiller la chair du céphalopode. Citons également la vinaigrette parfumée à l’aloe vera sur le maquereau aux haricots verts et géranium. Ces exemples d’assiettes épurées et totalement maîtrisées montrent le talent de Fabien Ferré pour sublimer le goût naturel des produits, et légitiment hautement sa place parmi les plus grands.
(Paris 8e) : Le Gabriel
Le chef Jérôme Banctel appartient à cette dynastie de cuisiniers qui a mûri paisiblement à l’ombre des géants. Après plusieurs expériences un peu partout en France (notamment auprès d’André Daguin à Auch et de Christian Constant au Crillon), il passe une décennie décisive aux côtés de Bernard Pacaud à l’Ambroisie, puis peaufine sa technique auprès d’Alain Senderens, au Lucas Carton. C’est aussi à cette époque que Jérôme Banctel s’éprend du Japon, de ses produits et de ses techniques culinaires – vinaigre de Sakura, miso, sauce soja, cuisine au binchotan… Il affirme désormais sa personnalité culinaire singulière à travers deux menus. Le premier, Virée, rend hommage à sa Bretagne natale. Le second, Périple, invite à voyager autour de la planète, au pays du Soleil-Levant bien sûr, mais aussi en Turquie où le chef a découvert la cuisson à l’eau de chaux, une technique qui confère aux légumes une texture incomparable. Le chef consacre aussi un menu à la chasse en saison. Ces partitions gourmandes de haute volée lui permettent de convoquer une vaste gamme de sensations et de saveurs – acidulé, sucré-salé, épices et iode – qui se succèdent et s’harmonisent grâce à son talent d’alchimiste cosmopolite. Les sauces profondes et concentrées permettent d’appréhender au mieux cette cuisine hautement technique mais qui n’en laisse rien paraître, tout entière dédiée à l’émotion. Les plats végétaux (et signatures) comme la carotte des sables au gingembre acidulé, le cœur d’artichaut et vinaigre à la fleur de cerisier, ou bien le homard bleu au binchotan, butternut et graines de courge sont déjà des classiques.