Cette question a fait l’objet d’une rencontre à l’Université Bordeaux-Montaigne, le 23 juin. Impulsée par le MOF Gil Galasso, professeur de restaurant au lycée hôtelier de Biarritz (64), cette journée de débats entre une quarantaine de personnes (universitaires, enseignants, professionnels) avait pour aboutissement la signature d’une charte. Celle-ci compte à ce jour, après avoir été relayée par l’éducation nationale, 130 signataires. Vaste sujet que la (re)définition du « service à la Française », qui bien qu’appartenant à ‘notre’ patrimoine, reste en perpétuel renouvellement et ne doit pas être figé par des écrits. À chacun sa description, selon le lieu, le type de restauration et de cuisine, les attentes actuelles de la clientèle. Un œil en salle a recueilli les définitions selon les personnes présentes.
Teddy Gillot, directeur exécutif des restaurants du Groupe Yannick Alléno : « Avec le chef, nous sommes en train de redéfinir le service à la Française au sein du Pavillon Ledoyen. La salle est le prolongement de la cuisine. Cela doit être une vraie symbiose entre le cuisinier qui prépare un produit, et le maître d’hôtel qui va l’expliquer au client. Nous voulons aller plus loin que cela. Non pas de diminuer les gestes en cuisine, mais de faire le meilleur geste pour le client. […] Quel produit serait le mieux préparé en salle ? Nous pensons pour l’hôte et ce qu’il est mieux pour lui. Pour moi, le service à la Française se définit par son expérience globale, et la proximité que l’on a avec lui. [..] »
Benoit Sauviat, ex maître d’hôtel aux Sources de Caudalie, actuellement en création d’entreprise au Domaine de Larchey à Saint-Médard-d’Eyrans (33) : « Pour moi, le service à la Française est une multitude de savoir-faire. Il faut parler de ces traditions en apportant une touche de modernité pour le bien-être du client. Car c’est ce dernier qui est au cœur de l’expérience globale d’un restaurant. Je suis favorable à cette charte car les écrits permettent de conserver notre patrimoine gastronomique ».
Bernard Boutboul, Gira Conseil : « Il me semble que le service à la française est le seul et unique service qui correspond le mieux aux attentes des consommateurs dans un restaurant .L’avancée du plat dans lequel on sert le morceau, la part souhaité ou choisit par le client, est une attitude fondamentale du service. Et puis le service à la française c’est aussi la convivialité et le partage qui peut se traduire par une table ronde plutôt que carrée ou rectangulaire. C’est aussi le spectacle à proximité immédiate de la table, je pense à la découpe, la préparation ou la finition d’un produit. En fait, c’est la mise en valeur de la cuisine du chef au travers d’un cérémonial ou d’une expérience qui doit se poursuivre en allant au plus près du client. »
Gil Galasso : « Le service à la Française est une notion assez abstraite qui a été définie à plusieurs moments de notre histoire, en particulier au XVII et XVIIIeme siècle, puis dans la seconde partie du XIXème siècle et dans la première moitié du XXeme. C’est un ensemble de représentations de gestes, de postures, de souvenirs d’expériences dans les restaurants, et d’une idée que peuvent se faire nos clients étrangers de l’originalité de notre corporation. Il est bien palpable lorsqu’on pose la question à ces mêmes étrangers, qui y voient une certaine élégance, une certaine politesse et gentillesse particulière, mais c’est plus difficile pour nous de prendre de la hauteur de notre quotidien et d’essayer de théoriser nos méthodes. Il correspond à l’idée que l’on se fait de notre différence par rapport aux autres nations du service, à condition qu’il ne soit pas figé dans le temps mais en constante réflexion et évolution. Il était important de prendre une « photo » de cette notion de service à la française, prise donc au début de ce 21eme siècle, afin qu’elle s’inscrive dans la grande histoire de notre profession. Elle a été est définie par les 35 personnes représentatives de nos associations, différentes composantes de notre métier, et nous avons soumis le texte à plusieurs universitaires, cela a correspondu à un travail de plus de 5 mois. Je pense qu’il faut que l’on soit capable de produire plus d’écrits, à l’image des chefs qui ont su tout au long de leur histoire produire des manuels, des encyclopédies. Ils ont posés des jalons alors que nous sommes trop dans la transmission orale. Combien de grands directeurs de salle sont partis sans transmettre par écrit toutes leurs connaissances qui se sont ainsi perdues ? J’ai beaucoup apprécié la présence des jeunes maîtres d’hôtels et vais m’employer à leur transmettre ce que j’ai appris. »
Franck Philippe, doctorant en histoire à l’Université de Tours (37) : « Pour moi, la charte proposée touche deux cibles : les usagers et les professionnels. Pour ces derniers, c’est valorisé tous les métiers des arts de la table et du service Français dans un contexte international. Pour les usagers, on constate que depuis 1958, le profil des hôtes à la présidence a évolué. La culture est différente, mais aujourd’hui les invités n’ont pas forcément les codes (telle la pince). Il y a une vraie difficulté sur l’éducation autour de la table qu’il faut se poser, même dans les plus hauts lieux de la République. […] »
Guillaume Bonnard, assistant maître d’hôtel à La Côte Saint Jacques à Joigny (89) : « Le service à la Française, c’est un état d’esprit. Il faut connaître les bases, notre passé pour pouvoir avancer et innover. Savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va. C’est une attitude, un comportement à avoir vis-à-vis des clients, des collaborateurs. J’ai signé la charte, après avoir travaillé sur le sujet. En soit, une charte, cela veut dire s’enfermer dans quelque chose de figé ; or à son écriture, nous nous sommes rendus compte qu’elle était assez ouverte et généraliste. Tout ce qui est nouveau est controversé. C’est une première. Cette charte est l’un des fondements qui sera amené à évoluer. »
Laurent Delarbre, enseignant en sommellerie et restaurant au lycée hôtelier de Talence (33) : « Le service à la Française se veut le lien entre les racines classiques et l’avenir ; tout cela tourné vers le client. La technicité en salle ne doit pas se perdre, même si elle doit se réinventer. Le métier est aussi fait de plein de détails non perceptibles et non détaillables. À travers cette charte, les écrits restent pour les générations futures. »
Juan Carlos Monasterio, chef de travaux au lycée hôtelier de Blanquefort (33) : « La définition que j’avais du service à la Française avant, est celle d’un service qui se retrouve uniquement dans les banquets ou les mariages et qui répond à une tradition bourgeoise bien Française ou bien un service domestique (« à la maison »). Et non commercial. Y a-t-il vraiment un type de service à la Française ? Je ne le crois pas. La société évolue. Et puis notre génération n’a plus les mêmes notions éducatives que la génération Y et Z. Cette charte permet d’entretenir une mémoire. »
Sylvain Combe, MOF maître d’hôtel : « Je pense que ce principe [le SAF doit rester le garant des traditions culinaires] doit être en relation étroite avec l’évolution de la prise en charge d’un tel service dans la formation des jeunes comme de leurs formateurs, avec pour levier principal la satisfaction clientèle et ses nouvelles attentes. Après les avoir défini, nous devons voir sur quels garants de nos traditions nous pouvons nous appuyer. […] Les besoins d’hier sont remplacés par les désirs d’aujourd’hui. […] »
Sandrine Fournier, enseignante, chercheuse indépendante rattachée à l’IRGO Université de Bordeaux : « Je dirai que c’est une mise en avant de l’ensemble des outils et techniques qui se sont échangés au niveau de la culture et de l’histoire de l’homme. En France, on s’est approprié le service à la Française de façon positive avec une mise en avant théâtrale, artistique et culturelle. Je suis favorable à cette charte. Il était temps d’en prendre conscience ! »
La charte :
Le lien pour les nouveaux signataires
Légende de la photo :
Au premier plan, de gauche à droite : Loic Glevarec, Meilleur Ouvrier de France Maître d’hôtel, Maître du Service et arts de la table, groupe LVMH ; Christophe Bouneau, Professeur des Universités, Histoire contemporaine ; Gil Galasso, Meilleur Ouvrier de France Maître d’hôtel, Maître du Service et arts de la table, Président de l’Association pour la Sauvegarde et la promotion du patrimoine des arts de la table et du service à la Française, enseignant Ecole hôtelière de Biarritz, Doctorant histoire contemporaine ; Gerald Louis Canfailla Président du concours Un des Meilleurs Ouvriers de France, Classe Maître d’hôtel, Maître du Service et arts de la table, Président et Administrateur du restaurant Lasserre Paris ; Marie Christine Bouneau, Professeure des Universités, Histoire contemporaine, Directrice du Laboratoire CEMMC; Jerôme Muzard, Inspecteur Education Nationale, filière hôtellerie ; Franck Languille, Maître d’hôtel Assemblée Nationale, Président de la Coupe Georges Baptiste.
Au second Plan, de gauche à droite : Sylvain Combe, Meilleur Ouvrier de France Maître d’hôtel, Maître du Service et arts de la table ; Bernard Boutboul, directeur du GIRA ; Teddy Gillot, directeur du restaurant Le Pavillon Ledoyen Yannick Alleno ; Franck Bourgine, Meilleur Ouvrier de France Maître d’hôtel, Maître du Service et arts de la table Au troisième plan, de gauche à droite Sebastien Lair, magazine Zenchef, Arnaud Enjalbert, Maître d’hôtel, Le Prince noir Lormont ; Jonathan Brunet, Maître d’hôtel, Le Peninsula Paris ; Guillaume Bonnard, Maître d’hôtel, La Côte Saint Jacques Joigny ; Sandrine Fournier, enseignante lycée Arcachon – Docteur sciences de gestion laboratoire IRGO université de Bordeaux Au quatrième plan, de gauche à droite Valérie Lemeret, enseignante Lycée hôtelier Talence ; Synthia Wojnarowicz, Maître d’hôtel, enseignante Service et Commercialisation ; Thierry Daugeron, référent Bordeaux Ecole supérieure de la Table – président Association de la Table et du Service ; Didier Lasserre, Meilleur Ouvrier de France Maître d’hôtel, Maître du Service et arts de la table, DDFPT Lycée hôtelier Arcachon, Patrick Guat, président Pays France « Disciple d’Escoffier International » ; Pascal Mesnard, enseignant – EN EPLE Christian Bruquin, , membre Association des arts de la Table.
A l’arrière plan, de gauche à droite : Franck Philippe, Inspecteur Education Nationale, Doctorant histoire contemporaine ; Mr Meyzie Philippe, Université Bordeaux Montaigne ; Juan-Carlos Monasterio, DDFPT Lycée hôtelier Blanquefort ; Joëlle Kehren, enseignante Service et commercialisation Lycée hôtelier Blanquefort ; Benoit Sauviat, Maître d’hôtel, Les sources de Caudalie, membre fondateur de l’Association de la Table et du Service Laurent Delarbre, enseignant Service et accueil, Lycée hôtelier de Talence ; Gaël Keruel enseignant Service et commercialisation Lycée hôtelier Blanquefort ; Jan Oliva, directeur de la Maison des Sciences de l’homme d’Aquitaine, Université Bordeaux Montaigne ; Philippe Meyzie, Professeur des Universités, Histoire contemporaine ; Corinne Marache, Professeure des Universités, Histoire contemporaine.