Le suicide de Vatel le fit entrer dans la légende comme cuisinier du prince de Condé. Or, si Vatel n’endossa jamais cette fonction, il fut en revanche maître d’hôtel, secrétaire particulier, homme de confiance ou véritable « responsable événementiel » au service des puissants. Mais ce personnage emblématique du Grand Siècle recèle encore bien des mystères.
Grâce à deux lettres de Mme de Sévigné à sa fille Mme de Grignan, qui ne connaît Vatel qui se suicida le 24 avril 1671 à Chantilly parce que le poisson (« la marée ») n’était pas arrivé pour le déjeuner du roi Louis XIV ?
La légende en a fait à tort un cuisinier, parfois même l’inventeur de la crème Chantilly qui n’apparut qu’au siècle suivant. Bien des points restent à éclaircir sur ses origines. L’homme est picard, fils de Pierre Watel, laboureur à Allaines (Somme), qui épouse Michelle Caudel le 13 mars 1624. À son décès, Vatel est donc âgé de moins de quarante-cinq ans. Ses dates et lieux de naissance restent inconnus, car les registres paroissiaux de la région ont été détruits. Ses cousins et héritiers, laboureurs ou marchands de bois, vivent entre Péronne (Somme) et Bapaume (Pas-de-Calais). Surprise : il signe toujours Wattel (Archives nationales, arch. du musée Condé à Chantilly).
Ses débuts sont obscurs : on ignore comment ce fils de laboureur picard entre avant août 1656 au service de Nicolas Fouquet (1615-1680), surintendant des Finances de Louis XIV. Est-il recommandé par Antoine Vatel, maître paveur des bâtiments du roi, qui travaille pour Fouquet à Vaux-le-Vicomte et que le XIXe siècle prenait pour son frère, mais qui est plutôt un cousin (François est parrain d’un des fils en 1657) ?
Maître d’hôtel de Fouquet, Vatel organise la fête donnée à Vaux-le-Vicomte le 17 août 1661 en l’honneur du roi Louis XIV, qui va causer la chute de Fouquet. À son procès, Fouquet déclare que Vatel « estoit (s)on Maistre d’Hostel, & chargé du soin de ce qui était à faire dans (se)s maisons” et “(s)on principal domestique en ce temps-là” : il veille aux achats, aux réserves alimentaires, organise les déplacements, aménage les appartements des invités, veille à la parfaite qualité des réceptions. Ses fonctions dépassent celles d’un maître d’hôtel : Fouquet le charge d’acheter des chevaux pour l’armée ou de verser l’argent issu des finances publiques au roi et à ses proches.
Vatel déploie aussi son talent dans l’organisation des réceptions de la cour. Sa réputation est telle que le cardinal Mazarin et le ministre Colbert font appel à lui pour recevoir un hôte d’importance, comme la reine Christine de Suède en 1656 ou le duc de Mantoue, reçu à Chantilly en 1655. Tout en étant au service de Fouquet, Vatel sert plusieurs maîtres : le 7 octobre 1660, Vatel est « argentier des écuries de Monsieur, frère unique du roi », et a pour commis un compatriote de son village d’Allaines, Jean Lesquevain, selon un document inédit (arch. de la Somme).
Après l’arrestation de Fouquet, Vatel fuit à Londres, où le rejoint Gourville, autre âme damnée de Fouquet, puis à Bruxelles. Le 9 juillet 1665, rentré en France, Vatel redevient argentier des écuries de Monsieur, duc d’Orléans. La famille royale ne lui a donc pas tenu rigueur de sa fidélité à Fouquet, qu’atteste un portrait du surintendant trouvé chez lui après sa mort.
Est-ce Gourville, désormais attaché au Grand Condé, qui fait entrer Vatel au service du prince ? En 1667, Vatel est « contrôleur général du prince de Condé ». Chargé de l’approvisionnement de la maison du prince, de la bouche aux écuries, il organise du 13 au 17 octobre 1669 la réception de l’ancien roi Jean Casimir de Pologne à Chantilly.
En avril 1671, Vatel est chargé d’organiser l’accueil à Chantilly du roi Louis XIV et de la cour. Ce séjour est d’une grande importance pour Condé, qui rêve de reprendre la tête des armées royales. Il faut loger et nourrir le Roi, la Cour, le personnel, les domestiques… Vatel contrôle les achats de nourriture, les menus, les plans de table, embauche du personnel. Le soir, le « rôt » (la viande) manque à deux tables ; le feu d’artifice est couvert d’un nuage ; Vatel se dit « perdu d’honneur ». Selon Mme de Sévigné, Vatel n’a pas dormi depuis onze nuits, lorsqu’au matin du vendredi 24 avril il se rend en cuisine et constate le retard de « la marée », le poisson commandé pour le repas qu’il doit servir au roi ; désespéré, il monte à sa chambre et se passe l’épée à travers le corps, victime de son sens de l’honneur et du devoir. Ainsi finit « Vatel, le grand Vatel, maître d’hôtel de M. Fouquet, qui l’étoit présentement de M. le Prince, cet homme d’une capacité distinguée de toutes les autres, dont la bonne tête étoit capable de contenir tout le soin d’un Etat ». Son geste ne s’explique que dans le contexte du classicisme du XVIIe siècle.
Nicole Garnier-Pelle, conservateur général du Patrimoine, chargée du musée Condé
Depuis sa mort, le nom "Vatel" a donné naissance à une école internationale, à un film (2000) avec Gérard Depardieu, de nombreux ouvrages, dont le tout dernier en hommage au 350ème anniversaire de son décès :
Sur le même sujet :
Deux questions au MOF Gil Galasso, thèse en Art de la découpe à table
Un oeil en salle : Qu’est-ce que François Vatel a apporté à l’histoire de la gastronomie française, et plus spécifiquement aux métiers de salle ?
Pas plus qu’un autre maître d’hôtel de l’époque. La différence est que sa mort a été racontée dans quelques écrits, la plus connue étant une lettre par la marquise de Sévigné dans une lettre qui ne constitue pas une source fiable. Mais il existe d’autres sources comme celle de la duchesse de Montpensier, de Roger de Bussy-Rabutin ou de Carlo Vigarani, l’organisateur des fêtes du roi. Madame de Montmorency, elle, souligne la crise de folie de Vatel qui aurait “troublé la fête de chantilly”. C’est donc juste un maître d’hôtel dont le nom a traversé les siècles en devenant un mythe. On comprend au travers de sa lettre qu’il a subi une grosse pression de la part de son maître, le prince de Condé pour la réception du roi, car ce dernier était plus ou moins en disgrâce depuis l’épisode de la Fronde, dans la jeunesse de Louis XIV.
Qu’a mis en place ce maître d’hôtel d’un point de vue accueil et service, que nous pratiquons toujours aujourd’hui dans le service contemporain ?
Le mot maître d’hôtel est à comprendre dans le contexte de l’époque. C’est plus un organisateur d’évènement. Ramené au 17ème siècle, le poste de maître d’hôtel correspondrait aujourd’hui à celui de traiteur, de cuisinier et de directeur de salle associé. C’est la raison pour laquelle, quelques temps plus tard, Marie Antoine Carême, qui est cuisiner, intitule son livre : “Le maître d’hôtel français”.
Les maîtres d’hôtel d’avant la révolution excellaient dans l’art de la surprise et de l’enchantement des invités. Par exemple, les impromptus, étaient repas improvisés et mis en scène au détour d’un chemin étaient particulièrement spectaculaires et complexes à organiser, sachant qu’on ne disposait pas de groupes électrogènes ou de fours à vapeur. L’époque de Vatel correspond surtout à l’apogée du grand service à la française. Par la suite, sous la régence, puis sous Louis XV, une nouvelle forme de service va apparaître, moins protocolaire, mais qui accompagne mieux la nouvelle cuisine qui apparaît à cette époque.
Les Impromptus - Gil Galasso, Histoire de l'art de la découpe à table, thèse de doctorat, histoire contemporaine, Université de Bordeaux Montaigne, 2018.