Dans la série « Hospitalité engagée », menée en collaboration avec l’association Les Grandes Tables du Monde, Un oeil en salle aborde son troisième thème : « Valoriser le savoir-faire français grâce aux arts de la table ». Retours d’expériences de trois établissements membres des Grandes Tables du Monde : La Villa René Lalique, Daniel et Le Louis XV. Trois visions distinctes, et trois façons de valoriser le savoir-faire français par les arts de la table.
Plus que de (simples) objets de décoration, les arts de la table sont vecteurs d’échanges entre les artisans, les équipes de salle, mais aussi et surtout les clients. En France comme dans le monde entier, les couleurs du drapeau tricolore sont portées par de nombreuses maisons d’arts de la table, exportant leurs pièces sur les plus grandes tables. Au sein du restaurant Daniel, adresse new-yorkaise du chef Daniel Boulud, Karim Guedouar, “regional general manager”, nous narre la construction du restaurant au travers des maisons qui l’embellissent. « Nous n’avons pas de dogme précis concernant les arts de la table et le chef aime à rester libre de ses choix, selon la carte et les tendances. En revanche, de nombreuses pièces françaises sont mises en lumière, à différents moments du repas, sous les grands chandeliers en porcelaine Bernardaud qui illuminent la salle. » Un photophore Lalique, des assiettes de mise en place Bernardaud, une presse à canard Christofle, des cocottes Staub pour les flambages, Jacques Pergay ou Haviland pour les assiettes… Nombreuses sont les pièces françaises à se partager la table du client, composant avec d’autres pays leur partition artistique. « Nous faisons également appel à l’autrichien Riedel pour la verrerie ou encore le japonais Nikko pour quelques assiettes. Nous ne sommes pas fermés mais la touche française reste, malgré tout, un repère de qualité et de cachet pour nos clients. »
« La touche française reste, malgré tout, un repère de qualité et de cachet pour nos clients«
— Karim Guedouar, regional general manager chez Daniel à New-York
Une ouverture sur le monde
Pour Claire Sonnet et Sébastien Rebaudo, respectivement directrice de salle et responsable F&B du restaurant Le Louis XV à Monaco, le point d’orgue se rapproche davantage de la mixité des origines et des cultures. « Monaco est une plaque tournante dans laquelle le chef Alain Ducasse veut mettre en avant son ouverture sur le monde. Nos pièces d’arts de la table viennent de nombreux pays comme la France, le Japon, la Hollande, l’Allemagne, l’Italie ou encore les États-Unis, avec différents matériaux qui vont de la porcelaine à l’étain en passant par la terre cuite. » Un propos souligné par Sébastien, insistant sur le fait que « nous pouvons trouver de beaux savoir-faire partout dans le monde. Il y a bien entendu un art de vivre à la française mais de nombreux autres pays sont une source d’inspiration. » Propriété de la cristallerie éponyme, la Villa René Lalique a une vision toute différente, mettant en lumière ses réalisations au sein du restaurant. Directeur de salle, Hervé Schmitt voit la Villa comme « un show-room », théâtre de belles histoires : « Nous avons la chance d’évoluer dans un restaurant qui appartient à une cristallerie centenaire cette année, et de pouvoir dévoiler à nos clients des pièces magnifiques de nos collections. Cela fait l’objet de beaux échanges durant le service. Pour la verrerie, nous avons également une gamme complète développée en partenariat entre Lalique et James Suckling avec de très belles lignes. Les gens viennent aussi chez nous pour l’histoire de la cristallerie mais nous ne pouvons pour autant pas utiliser du cristal partout. Nous travaillons notamment avec Furstenberg, l’un des plus anciens porcelainiers d’Allemagne qui fabrique des assiettes spécialement pour nous. Henri Maselier pour les couteaux ou encore Christofle pour toute l’argenterie. Nous essayons de privilégier la France mais voulons surtout le plus beau pour notre restaurant. » Rattachée à sa maison mère, la Villa René Lalique n’en demeure pas moins fidèle à ses autres partenaires comme l’indique Hervé Schmitt. « Pour notre propriétaire, Silvio Denz, les amitiés sont importantes et cette vision irrigue également nos choix. Quand une maison travaille bien et que nous avons de bonnes relations ; nous sommes très fidèles. Lalique a également réalisé de nombreuses collaborations avec de grandes maisons, notamment Peugeot. Leurs moulins à sel et à poivre, en cristal Lalique, sont présents sur toutes les tables. »
« Les gens viennent aussi chez nous pour l’histoire de la cristallerie Lalique«
— Hervé Schmitt, directeur de salle à la Villa René Lalique à Wingen-sur-Moder
Des choix dictés par l’humain avant la technique
Au sein du Louis XV, l’humain prime encore et les canaux pouvant amener à une création sont très variés, comme l’indique Sébastien Rebaudo. « Toutes les pièces utilisées dans notre restaurant ont été créées spécialement pour nous. De ce fait, chacune d’entre elles est unique, et largement valorisée par nos équipes lors de son entrée en scène. La mise en place minimaliste a été définie dans ce sens, pour offrir une place importante à chaque objet. » Et Claire Sonnet de préciser : « Dans le processus de création, l’envie de faire réaliser une pièce d’arts de la table à un artisan peut partir d’une visite, d’une idée de plat de notre chef ou d’une rencontre avec l’artisan en question. Bien entendu, Monsieur Ducasse a des relations privilégiées avec différentes maisons. Mais à travers la vision du Groupe Alain Ducasse, chaque restaurant garde une identité propre et le propos est toujours différent d’un établissement à l’autre. Nous avons notamment une assiette à pain en cuivre estampillée du logo du Louis XV, réalisée par la maison française Mauviel. Leurs ateliers ont fabriqué pour nous un plat destiné à cuire de petites pièces de poissons de Méditerranée à la vapeur. Le chef a réfléchi au plat, ce qui a amené l’idée du réceptacle et du geste de service qui l’accompagne. Ce cérémonial n’est plus présenté durant le service aujourd’hui, mais il pourra revenir sous une autre forme lorsque le chef le souhaitera. » Véritable relais auprès de la clientèle, ce type de collaboration est également très porteuse pour la maison Mauviel. Sa directrice générale, Valérie Le Guern Gilbert, le confirme : « Le Louis XV Alain Ducasse – Hôtel de Paris est un très bel ambassadeur pour nous, comme le sont tous les restaurants. 70% de notre chiffre se fait à l’export et 60% est généré par le grand public. Le Louis XV est donc, bien entendu, un lieu privilégié pour présenter notre gamme à une potentielle clientèle étrangère. »
« À travers la vision du groupe Alain Ducasse, chaque restaurant garde une identité propre avec des pièces créées uniquement pour lui”
— Claire Sonnet, directrice de salle au Louis XV à Monaco
« La mise en place minimaliste a été définie pour offrir une place importante à chaque objet »
— Sébastien Rebaudo, responsable food & beverage au Louis XV à Monaco
« Les professionnels, de précieux ambassadeurs »
« Le rôle des restaurants est absolument essentiel et nous sommes fiers que des établissements d’exception mettent en lumière notre porcelaine ! Les professionnels sont de précieux ambassadeurs qui promeuvent des valeurs que nous partageons – l’art de vivre, de recevoir, la beauté du geste, la qualité des produits, du service, de la belle table – et font de leurs clients des ambassadeurs à leur tour. La Maison Bernardaud, qui fêtera en 2023 ses 160 ans, est présente dans tous les pays du monde à travers ses collaborations avec les plus grands chefs internationaux. Pour répondre aux besoins de chacun, la maison développe sans cesse des créations sur-mesure de plus en plus complexes et innovantes mais aussi des collections complètes aux styles différents et complémentaires. Cette recherche constante pour offrir le meilleur aux professionnels et leurs clients fait aujourd’hui de Bernardaud la marque de porcelaine la plus innovante dans la restauration haut-de-gamme », explique Corinne Oats, directrice commerciale International de Bernardaud.
Un rôle primordial dans l’expérience client
Selon Karim Guedouar, la liberté de choix et l’absence de dogme ouvrent le champs des possibles. Cependant, certaines relations sont différentes des autres, comme c’est le cas avec Michel Bernardaud. « C’est une personne que l’on aime beaucoup, simple et passionnée. Il est vraiment proche des gens avec qui il travaille. Nous travaillons très régulièrement avec cette maison, et notamment certaines pièces telles que le service à café, réalisé sur-mesure pour nous. Je pense que nous aurons toujours du Bernardaud au restaurant Daniel, y compris dans tous les autres restaurants du chef. En novembre 2021 à Paris, nous avons d’ailleurs reçu le prix Bernardaud du meilleur restaurateur par l’Association Les Grandes Tables du Monde. Une récompense qui vient souligner la fin d’une période riche en changements comme en sacrifices, ainsi qu’une belle valorisation de ce qui nous lie à cette maison. » Sur le passe de Daniel Boulud, les assiettes sont pratiquement toutes blanches, alternant formes et textures en fonction des plats créés par le chef. Une composante pensée pour valoriser ce que contient la vaisselle davantage que son contenant. Certaines pièces iconiques de la gastronomie française se frayent pourtant un chemin jusqu’aux clients, notamment les cocottes Staub utilisées pour les flambages de foie gras ou la vieille presse à canard Christofle. Au Louis XV en revanche, tout est pensé pour créer la parfaite osmose entre le contenant, le contenu et le geste de service. Une équation dans laquelle chaque courbe d’assiette, chaque planche, chaque réchaud ou chaque fourchette ont été pensés sur les plans esthétique, ergonomique et pratique. Tout cela pour servir un propos qui ne trouvera nul part ailleurs ! Enfin, chaque année, la Villa René Lalique suit la vague créative d’une cristallerie à la fois historique et contemporaine, puisant dans ses possibilités infinies pour réinventer la décoration de ses tables. Aujourd’hui connue et reconnue pour sa gastronomie, la Villa n’en demeure pas moins la plus belle vitrine gastronomique pour ses pièces de cristal, jouant à chaque service un contrepoint entre histoire, cuisine, modernité, beauté du geste, vins et artisanat. Tout en restant fidèle à sa vision, chaque restaurant démontre que les arts de la table demeurent, plus que jamais, de magnifiques ambassadeurs pour la France et ses savoir-faire.