À tous les professionnels en activité et les jeunes encore aux études, son nom et son visage vous disent forcément quelque chose ! Un homme dont les ouvrages pédagogiques sont indéniablement passés entre toutes les mains. Dictionnaire de restaurant, Technologie de restaurant et 16 autres au compteur, c’est lui. Membre de jury de nombreux concours (dont la coupe Georges Baptiste, et Un des meilleurs ouvriers de France maître d’hôtel), conseiller technique auprès de l’Education nationale, Christian Ferret a par ailleurs été professeur de restaurant pendant quarante ans, dont 30 au sein du lycée Auguste Escoffier à Eragny-sur-Oise (95). Hier, 21 septembre, ce passionné de voile a officiellement pris sa retraite. Long entretien sur sa carrière, l’évolution du métier, ses réflexions, et même ses conseils pour la préparation aux concours.
Un œil en salle : Après 40 ans d’enseignement en service et commercialisation de restaurant, quel est votre regard sur les métiers de la salle ?
Christian Ferret : Les métiers de la salle, service de restaurant, sommellerie, bar ont bien changé depuis la fin des années 1970. Ce changement s’observe essentiellement sur la qualité des services proposés à la clientèle. La clientèle, de ces années passées, était particulièrement sensible à la qualité et au respect des règles qui géraient le service de restaurant. Ceci s’explique par le fait que les clients possédaient une véritable culture dans ces différents domaines. De ce fait, les établissements étaient très attentifs au respect de ces règles qui représentaient ainsi une grande part de la fidélisation des clients.
Souvent les établissements de restauration étaient tenus par des professionnels de « père en fils ». La plus part d’entres eux possédaient un diplôme décerné par une école hôtelière. A cette époque, nous étions loin des techniques de gestion économique que nous connaissons aujourd’hui, loin des outils de production particulièrement performants qui ne laissent que trop peu de place à la qualité du produit fini afin d’assurer une productivité importante.
Voici quelques points parmi tant d’autres qui motivent tout particulièrement les méthodes de travail actuelles et « laisse de côté » les règles de service, les méthodes d’accueil et de courtoisie, de préséance et de savoir-être. Durant cette période, que ce soit en France comme à l’Etranger, les populations ne voyageaient pas aussi facilement qu’aujourd’hui. La satisfaction de la clientèle reposait donc, en tout et partie, sur un environnement restreint en nombre et variétés d’établissements. Le milieu des années 1990 laisse place à des investisseurs peu sensibles aux règles de service qui, disent-ils, alourdissent les services proposés à la clientèle et ne permettent pas d’optimiser la rentabilité des établissements. Somme toute, cette nouvelle clientèle n’y est pas si sensible que cela.
Il faut faire du chiffre et rentabiliser les entreprises à leur maximum en oubliant trop souvent que la qualité d’une prestation repose essentiellement sur les règles de service, les petits détails et autres attentions qui transforment une prestation quelconque en une prestation haut de gamme. La culture gastronomique que possédait la clientèle disparaît et, de ce fait, chacun peut exploiter un restaurant en fonction de ses priorités dans lesquelles il est difficile de retrouver des techniques de service dignes de vrais professionnels.
Les populations voyagent de plus en plus aisément. Elles découvrent de nouveaux produits, de nouvelles préparations culinaires, de nouvelles ambiances. Chaque retour de voyages suscite en chacun l’envie de revivre dans son environnement quotidien les souvenirs marquants des moments de vacances, de moments exotiques, de fête, sentimentaux ou autres qui marquent les traces d’un dépaysement de plaisir.
Les dirigeants actuels de la restauration l’ont bien compris et agissent avec cette grande capacité d’adaptation qui permet de relever les défis d’aujourd’hui et de demain. Défis qui sont imposés par une clientèle jeune et moins jeune avide de changements, d’originalité et de nouvelles expériences plus nouvelles les unes que les autres.
Tout ceci nous amène au constat indéniable du changement des métiers de salle. L’efficacité d’un service rapide nous fait trop souvent oublier les fondamentaux d’un service de qualité. Le « turnover » d’une table prend le pas sur le confort et le bien être du client. Les brigades de restaurant ont perdu 50% des postes existants il y a quarante ans. Le profil de ces postes en service de restaurant ont totalement changé et la qualification réduite en peau de chagrin.
Seule une infime catégorie d’établissements reste les garants d’un savoir faire que de nombreux pays nous envient. La restauration gastronomique « haut de gamme » a su s’adapter aux nouvelles demandes d’une clientèle souhaitant un service de restaurant de grande qualité dans lequel une note d’originalité, bien dosée, souligne une ambiance dynamique et moderne. Mais il reste un long chemin à parcourir.
Quelle est donc votre réflexion ?
CF : Ceci me conduit sur une réflexion extrêmement importante concernant les formations. Ne serait-il pas temps de revoir en profondeur les formations dispensées par les lycées hôteliers ?
- Proposer aux élèves des formations plus courtes dans le temps et plus adaptées au marché ;
- Créer des formations qualifiantes qui excluent le système du diplôme tel que nous le connaissons en délivrant aux étudiants des « certificats de suivi de formation » ;
- Mettre en place des «mentions haut de gamme » en commercialisation et service de restaurant avec la certitude que les entreprises pour lesquelles sont formés les jeunes et les moins jeunes, s’engagent à offrir un emploi qualifié ;
- Créer des « labels de qualité de service » assurant aux clients une prestation qui se reconnait à travers le respect des règles d’accueil, de service et de savoir-être.
La société est entrée dans un virage qui comporte de multiples bouleversements sociétaux. L’adaptation es inévitable avec tout ce que cela comporte en terme de changement pour les métiers de service et de bien d’autres activités d’ailleurs. Pour réussir cette transition professionnelle, il me semble important de ne jamais oublier le passé d’où l’on vient de manière à bien comprendre le futur où l’on veut aller.
Les jeunes s’insèrent-ils dans cette filière par passion ? Quelles sont leurs attentes quand ils rentrent à l’école hôtelière ?
CF : Je dirais que non. Comment peut-on être passionné par un métier qui demande des années de pratique pour bien le connaître. À 15 ou 16 ans, les jeunes ne connaissent pas les métiers de service et n’ont que quelques idées sur les métiers de cuisine à travers les médias. Au début de leur formation, ils reçoivent un enseignement mixte, cuisine et service. Cet enseignement qui précède un choix d’option est plus au moins long suivant les établissements hôteliers (4 à 6 mois). C’est à cette occasion que chacun découvre les métiers de salle. Il est à noter que les orientations sur le choix de l’option sont plus grandes vers les métiers de productions culinaires que les métiers de service de salle souvent perçus comme plus contraignants au niveau des horaires. Donc, le choix de l’option est souvent motivé par le confort que peut procurer le secteur choisi. On ne parle de passion que bien des années suivantes. A leur entrée dans une école hôtelière, les élèves n’ont pas de véritables attentes. Ils suivent une orientation proposée par leur établissement d’origine (collège). Il s’agit souvent d’une orientation par défaut. Les intérêts que peuvent avoir les élèves pour la formation choisie ne prennent naissance qu’au fil du temps.
Ceux que vous avez formé sont-ils toujours dans le métier, 10, 20, 30 après ? Avez-vous du recul sur leur évolution professionnelle ?
CF : Les élèves qui sortent d’une formation hôtelière restent, pour la majeure partie, que très peu de temps dans la profession. Dans l’année qui suit une sortie de formation, 30% s’orientent vers une poursuite d’études n’ayant rien à voir avec le diplôme préparé. Sur les 70% restants, beaucoup d’entres eux quitteront la profession dans les 5 à 10 ans. On considère que 10 à 15 % feront une carrière professionnelle dans les métiers de l’hôtellerie. Concernant ces derniers, on constate une évolution de carrière extrêmement rapide. A l’âge de 30 et 40 ans, ces professionnels occupent pratiquement tous des postes à responsabilité.
Vous êtes aussi l’auteur de 18 ouvrages pédagogiques en restaurant. Quelle a été la ligne éditoriale ? Pouviez-vous « bifurquer » du référentiel de l’éducation nationale ? Vous êtes-vous aussi rapproché de la réalité du terrain pour les écrire ?
CF : Je suis auteur d’un grand nombre d’ouvrages pédagogiques à caractère formatif. En dehors des ouvrages de travaux pratiques, tous les autres sont technologiques et correspondent à des référentiels précis de l’Education Nationale (CAP, BAC PRO, BTS…). Chacun de ces ouvrages a été réalisé en étroite collaboration avec la profession afin de toujours correspondre à la réalité du terrain. La grande difficulté que j’ai rencontrée est de mettre à jour ces ouvrages en fonction des changements des référentiels, et, ils sont constants et nombreux. Pour l’avenir, je n’ai, à ce jour, aucune idée concernant l’orientation que je pourrais donner à la réalisation de nouveaux ouvrages professionnels.
Juré de nombreux concours, quels sont, selon vous, les atouts pour réussir ?
CF : Effectivement, comme jury, j’ai eu le plaisir de participer à de multiples reprises à des concours de service de restaurant. Tout au long de ma carrière, je me suis énormément investi dans la préparation des jeunes et des moins jeunes à ces concours professionnels. C’est un aspect de ma vie professionnelle dans lequel j’ai pris énormément de plaisir. Ceci s’explique par la forte motivation des candidats qui me permettait de pousser très loin la transmission de mes compétences professionnelles.
Pour réussir un concours, il faut plusieurs qualités :
- une mémoire sans faille,
- énormément de courage,
- être réellement passionné,
- posséder un véritable savoir- être,
- parler l’anglais couramment,
- posséder une grande maîtrise de soi.
Votre meilleur souvenir en tant que professeur ?
CF : Un professeur d’enseignement professionnel cumule obligatoirement plusieurs souvenirs exceptionnels dans une carrière. En dehors de la réussite de mes élèves aux examens et dans la vie professionnelle, je dois noter le souvenir d’une performance de très haut niveau par l’un de mes élèves au concours de la Coupe Georges Baptise. Il s’agit de Cyril Bray qui, à force d’un travail acharné au cours de ses études de BAC PRO, a gagné le concours de la C.G.B régionale, nationale, européenne et internationale. En tant que formateur et coach de ces concours, c’est la plus belle réussite de ma carrière qui me laisse des souvenirs magnifiques.
… et en tant que client dans un restaurant ?
CF : Mon meilleur souvenir en tant que client dans un restaurant, est d’avoir été reconnu par le directeur d’un établissement haut de gamme situé à l’île Maurice. Alors que je lui demandais d’établir un accord mets et vins pour le menu du Baptême de l’un de mes petits-fils, il me répondit: « Monsieur, vous pouvez me faire confiance. D’ailleurs, puisque vous venez de France, je vais vous montrer quelque chose ». Et le directeur revient avec l’un de mes ouvrages en me disant, « vous voyez ce livre professionnel, et bien il est ma « bible »». Et à ce moment là, il découvrit en regardant la photographie de l’auteur située au verso de l’ouvrage qu’il avait l’auteur devant lui. Peu commun, lorsque l’on sait que 12 000 kilomètres nous séparaient à l’origine.
Le service (ou le professionnel de salle) qui vous a le plus marqué, et pourquoi ?
CF : Le professionnel de service en restauration qui m’a le plus marqué s’appelait Georges Beaujouan. Ce Monsieur, après avoir effectué une très belle carrière professionnelle dans les métiers de la restauration haut de gamme, est entré par la grande porte de l’Education nationale en passant, à la fin des années 1970, le concours de professeur technique des lycée hôteliers. Georges Beaujouan possédait une maîtrise technique hors du commun. C’est lui qui m’a guidé dans mon projet de devenir professeur et au-delà de ça, il m’a appris à devenir ce que modestement je suis aujourd’hui. Je lui dois tout ce que je sais, et surtout l’essentiel pour réussir la perfection.
En passionné que vous êtes, allez-vous définitivement arrêter d’exercer dans les métiers de la salle ?
CF : Je prends aujourd’hui ma retraite en tant que professeur de restaurant mais il n’est pas exclu que je m’oriente vers une activité parallèle au métier que j’ai enseigné pendant presque 40 années. Je pense, par exemple, entrer dans une revue ou autre organisation spécialisée en critique gastronomique. Et pourquoi pas inclure aux ouvrages spécialisés dans ce domaine une rubrique « savoir-faire et savoir-être en commercialisation et service de restaurant »? Ceci permettrait d’assurer à la clientèle un accueil et un service correspondant à la catégorie de l’établissement fréquenté. A ce jour et malgré les nombreux établissements de formations qui existent en France, il y a fort à dire sur la qualité de l’accueil et du service que nous proposent certains restaurants dans sa globalité.
3 commentaires
J’ai eu l’honneur d’avoir eu Monsieur Christian Ferret comme professeur à l’école Hoteliere de Paris.
En un seul mot : Un trés trés grand Monsieur avec un M majuscule.
Concernant Monsieur Ferret Christian, on aime ou on n’aime pas. On aime pour ses compétences sans failles, sa passion, sa pédagogie et son investissement dans cette idée de faire perdurer dans une société devenue « un peu folle » les vrai valeurs d’une prestation de qualité.
On n’aime pas, pour sa franchise qui peut blesser car tout le monde ne peut entendre ses analyses objectives et chacun sait que toutes vérités ne sont pas bonne à dire.
En tout cas, Bravo Monsieur !
J’ai l’honneur d’être le petit fils de Monsieur Ferret et très fière