Ils sont rares, les professionnels de salle à avoir consacré la quasi-totalité de leur vie professionnelle à une même maison. Ces “ovnis” du service portent avec humilité l’histoire d’un lieu, d’une famille, d’un territoire. Portrait de Sergio Calderón, 35 ans au sein de la Maison Bras à Laguiole.
Il y a des carrières qui tracent des lignes droites, et d’autres qui dessinent des chemins de vie. Sergio Calderon appartient à cette seconde catégorie, celle des hommes dont la trajectoire raconte aussi l’histoire d’une maison. Après 35 ans passés au sein de la Maison Bras, il a tiré sa révérence le 23 novembre 2025, lors d’un dernier service empreint d’émotion et de gratitude.
« La France est devenue mon pays de cœur »
On reconnaît son accent au premier mot : Sergio Calderon est argentin. À 21 ans, il quitte son pays, en pleine étude de médecine, « par amour pour celle qui allait devenir – et est toujours – ma femme », raconte-t-il en souriant. Arrivé en France, il cherche un travail pour subvenir aux besoins de sa jeune famille. Il commence « à la plonge », chez Yves Thuriès à Gordes, puis chez Christian Lambert à Grasse. Deux maisons qui lui donnent sa chance, et quatre années qui lui forgent une base solide. Il enchaîne avec une formation de sommellerie pour adultes à Bordeaux, avant une parenthèse anglaise au Waterside Inn de Michel Roux. Une année décisive. À son retour, deux possibilités s’offrent à lui : Alain Ducasse à Monte-Carlo… ou les Bras, à Laguiole. « C’est ma femme qui a choisi l’Aveyron », s’amuse-t-il. Nous sommes en 1990. Sergio Calderón ne repartira plus.
Une vie entière dédiée aux Bras
Quand il entre à Lou Mazuc, le restaurant historique, il ne connaît encore ni l’Aubrac, ni ce qui va devenir sa deuxième famille. Il se souvient de cette première semaine où il sert, sans le savoir, Sébastien et Véronique Bras, alors âgés de 18 ans. « On me chuchote : ce sont les enfants du patron ! C’était drôle… et aujourd’hui, ce sont mes patrons. » Une anecdote parmi les nombreuses qui jalonnent son parcours. Trente-cinq ans plus tard, il mesure l’étendue de ce qu’il a vécu : « J’ai connu trois générations de Bras. Nous étions cinq en sommellerie à mes débuts ; nous sommes vingt aujourd’hui. Beaucoup d’émotion… » Et d’ajouter : « Le vin, c’est mon combustible. » La formule lui ressemble : simple, sincère, animée. Sergio Calderón n’a jamais défendu une vision académique du vin. Sa sommellerie est humaine, chaleureuse, accessible. Une affaire d’écoute avant tout — un trait qu’il attribue à sa vocation première pour la médecine. « C’est un don de soi, comme dans la restauration. » Au fil des décennies, il se construit une profonde relation avec les vignerons et vigneronnes, arpente les vignobles, tisse des amitiés fortes. Il obtient au passage plusieurs prix dans le métier : Sommelier de l’année (Le Chef, 2010), et Meilleur sommelier des Grandes Tables du Monde (2021). Mais l’essentiel, pour lui, est ailleurs : dans la proximité avec les clients, dans la fidélité des habitués, dans la transmission.
« Il faut savoir partir au bon moment »
À 63 ans, il est l’un des rares sommeliers de son âge à encore officier à chaque service. Depuis deux ans, il prépare sa succession avec Sébastien Bras. La sommellerie est aujourd’hui confiée à Théo Larroque, et la salle à Charles Decoesne. « Nous avons une grande clientèle d’habitués : une passation était indispensable. Et nous avons pris le temps de la faire. » Sergio Calderon quitte la maison, mais pas le village : « Ils ne vont pas se débarrasser de moi comme ça ! » dit-il en riant. Il poursuit son activité dans sa boutique, La Cave de Sergio, qu’il a créée grâce au soutien de Sébastien Bras. Et il nourrit un autre projet : retourner « à l’école du vin », c’est-à-dire passer du temps dans les vignes, au chai, avec ses amis vignerons, pour « mieux comprendre comment on donne vie à un grand vin. » Sergio Calderón laisse derrière lui plus qu’un parcours : il laisse une manière d’être. Une façon de transmettre, de sourire, d’écouter. Une fidélité rare. « C’est toute une vie dédiée à la restauration et au service. Le métier permet d’élever les gens, de faire des rencontres. Je suis un homme comblé. »




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