Originaire de Bretagne, cette directrice de salle de 31 ans officie depuis septembre 2022 au Lucas Carton, un établissement emblématique et historique de la place parisienne. Un passé « chargé » qu’elle s’applique à faire rayonner, tout en apportant de la modernité et de la jeunesse aussi bien sur la table que dans le service, aux côtés du chef étoilé Hugo Bourny. Interview.
Un oeil en salle : Pourquoi avez-vous choisi les métiers de la salle ?
Marie-Jeanne Ramel : J’ai toujours voulu faire ce métier, depuis toute petite. Je n’ai pas de famille dans la profession, et je ne me souviens pas avoir voulu faire autre chose. Je suis originaire de Fougères, et je suis allée naturellement au lycée hôtelier de Dinard, qui était le plus proche de chez mes parents, une école où je me sentais bien ! Être en salle me passionnait, et j’imaginais le métier comme tel : « Une pièce de théâtre où on prend soin de nos clients, on leur fait découvrir de nouvelles choses, on les accompagne tout au long d’un moment – plus ou loins long, et plus ou moins gastronomique« . La rigueur de la restauration et de la salle m’intéressaient. Enfant, je n’allais pas toutes les semaines au restaurant avec ma famille, et en arrivant au lycée hôtelier, ça n’a fait que confirmer mes choix ! Et heureusement, car ça faisait 10 ans que j’en parlais à mes parents (rires).
Qu’est-ce que vous vous souvenez de votre formation ?
M-J.R : J’ai fait mes premiers stages en Bretagne : des restaurants non étoilés mais dans des cadres agréables avec des personnes qui m’ont donné des responsabilités. Je n’avais pas cette volonté d’aller dans un é toilé dès le départ. En BTS, j’ai fait un stage dans le nord de l’Angleterre avec un accent prononcé, ce qui m’a bien aidé pour l’apprentissage de la langue, très importante dans notre métier !
Et la vie active ?
M-J.R : À l’inverse, j’ai eu très envie de travailler dans les étoilés en démarrant dans la vie active. J’ai donc commencé par des saisons, d’abord au Casadelmar en Corse durant trois étés, de commis à cheffe de rang puis responsable petit-déjeuner. Ce dernier poste m’a permis d’apprendre les rudiments du management. L’hiver, je faisais également des saisons, aux Barmes de l’Ours à Val-d’Isère, puis pour Jean Sulpice à Val-Thorens. Une vraie aventure car je passais de Bretonne des bords de mer à la montagne. C’était très chouette, même si j’avais envie de redescendre à la fin de la saison. Et puis grâce aux rencontres du métier, je suis arrivée à Valence, en 2018. J’ai travaillé avec une maître d’hôtel qui m’avait fait venir ; c’était ma première expérience dans un 3 étoiles. J’ai retrouvé la rigueur que j’appréciais. La cheffe Anne-Sophie Pic, je la connaissais, mais je ne pouvais pas définir sa cuisine. Après mon entretien, j’ai déjeuné, et j’ai été fascinée par sa cuisine. J’ai aimé l’audace des associations de saveurs, la précision des goûts, la créativité dans ses assiettes. Je suis restée 7 ans dans le groupe Pic ! Après cheffe de rang à la Maison Pic, je suis passée maître d’hôtel à La Dame de Pic à Londres, en mission de 6 mois pour La Dame de Pic à Singapour, et enfin directrice de salle à La Dame de Pic à Paris. J’ai fait tous les établissements du groupe, dont Lausanne et Megève. Une longue partie de mon parcours professionnel depuis mes débuts il y a 13 ans.
Après cette longue expérience au sein du Groupe Pic, vous aviez envie d’autre chose ?
M-J.R : Oui c’était nécessaire ! Après La Dame de Pic à Paris, j’avais envie d’une autre expérience parisienne, car je sais que je ne resterais pas toute ma vie à la Capitale. Mais ma plus grande difficulté – non plutôt ma crainte – était de trouver une cuisine qui me plaît vraiment, en laquelle je crois et que je prends plaisir à servir. Une cuisine aussi bien, voire différente de celle de la cheffe Anne-Sophie Pic. Et Hugo Bourny, chef à Valence lorsque j’étais cheffe de rang, m’a sollicitée. Nous étions restés en lien, lui avait pris le poste de chef depuis un an au Lucas Carton. La directrice de salle, Anna Pollio, devait repartir en Italie ; je l’ai remplacée en septembre 2022.
Parlez-nous de votre expérience au Lucas Carton ?
M-J.R : Un nouveau challenge pour moi, car je gère les deux restaurants du Lucas Carton, la table étoilée au rez-de-chaussée (35 couverts) et le bistrot Petit Lucas (25 couverts) à l’étage avec 12 collaborateurs. Le bistrot est supervisé par le maître d’hôtel Alexandre Ancourt, 18 ans de maison, le plus ancien collaborateur. Il est la « bible » du Lucas Carton, c’est très important d’avoir des piliers comme lui. Il m’a notamment présenté à certains habitués. Un lien indispensable…
Vous êtes passée d’une maison contemporaine à un établissement historique, comment l’avez-vous vécu ?
M-J.R : Le Lucas Carton avec toute son histoire, tout son passé, je trouve que ça apporte un joli décalage avec la cuisine moderne du chef Hugo Bourny ! En salle, nous racontons bien sûr l’histoire du lieu, elle fait partie de notre quotidien, certains clients viennent parfois pour le décor, la boiserie, mais la modernité et la jeunesse arrivent dans l’assiette, sur la table ou dans le service que l’on veut apporter. Nous ne voulons pas rester dans un service traditionnel, rempli de codes. Il y a déjà un décor très chargé, à nous en salle d’apporter un service frais, naturel et léger ! La sincérité dans les échanges aussi. Quelque chose de simple, et que ce lieu emblématique donne l’envie à tous, de toutes les générations, de venir nous rendre une visite…
En parlant de jeunesse, Lucas Carton a mis en place un menu pour les moins de 35 ans. Une volonté de s’ouvrir à une autre clientèle ?
M-J.R : Les retours sont très positifs ! Une formule déjeuner ou dîner à 150 euros (avec boissons). Car ce qui peut faire peur dans les restaurants étoilés à une clientèle jeune qui budgétise, c’est le montant de l’addition. C’est bien de la rassurer. Ça été mis en place en 2023. Au début, certains découvraient la proposition sur notre carte, puis maintenant des clients viennent car ils ont vu cette proposition. Cela permet de conquérir une autre typologie de clientèle !
Comment définiriez-vous votre service ?
M-J.R : Je parlerai de sincérité dans les échanges. Nous n’avons plus envie d’un service procédurier, mais de naturel et d’authenticité. Je demande aux équipes de faire un service qui leur ressemble ! Que le plat qui soit servi par Paulo ou par moi n’aura pas le même regard… Nous attendons plus de personnalisation. Dans la cuisine d’Hugo Bourny, j’aime la créativité, le fait de retrouver le produit annoncé. Mais aussi la surprise et la gourmandise pourraient la définir. Je déguste chacun des plats, même avant sa mise à la carte. C’est agréable qu’il me demande mon avis, d’avoir mon ressenti.
« Nous n’avons plus envie d’un service procédurier, mais de naturel et d’authenticité. Je demande aux équipes de faire un service qui leur ressemble ! »
— Marie-Jeanne Ramel, directrice de restaurant
Avez-vous des techniques en salle ?
M-J.R : Nous avons des finitions en salle, comme le service des sauces. Comme sur un plat de crevette où nous avons réalisé une sauce minute devant le client. Tout dépend des créations du chef, nous pouvons ajuster des techniques de salle. Sinon, nous avons différents chariots, à fromages, à infusions… Ma volonté est de proposer d’autres techniques, comme la préparation d’une sélection de beurres infusés à table. J’ai cette volonté que le client découvre de nouvelles saveurs tout au long de son repas. Nous avons la chance d’avoir, à l’heure actuelle, des clients plus curieux et avertis, et qui se laissent porter en confiance pour vivre un moment avec nous.
Parlez-nous des cartes et menus proposés au Lucas Carton ?
M-J.R : Au restaurant, nous proposons une carte avec des menus, en nombre de services ou avec une thématique « caviar » ou autre, ou bien la carte seule. Certains souhaitent un seul plat ou même choisir. Au début, quand je suis arrivée, nous connaissions déjà les menus avec des descriptions. Et puis au fur et à mesure, nous avons retiré la description des menus, ce qui laisse plus de flexibilité au service. Il n’y a pas seulement une lecture de la carte, mais un vrai échange avec le service ! Nous leur demandons s’ils ont des allergies, et nous composons quasiment un menu pour eux avec le chef. La flexibilité est l’indispensable de notre métier.
Quelle personnalité de salle vous inspire ?
M-J.R : Je dirai Olivier Bikao (Le Meurice, Paris) ! Je trouve qu’il fait rayonner « sa » salle avec son avoir-être et son savoir-faire. Il apporte de la fraicheur dans un lieu là aussi emblématique. Une personnalité qui m’inspire !
Un conseil à donner à un jeune ?
M-J.R : Il faut prendre du plaisir au quotidien, de ne pas hésiter à voir des choses différentes car chaque maison peut nous apporter quelque chose et nous aussi, nous pouvons apporter à l’établissement. Apporter de la vérité dans ce qu’ils font. Je ne dis pas que c’est un métier facile, il y a des concessions à faire – même s’il y a beaucoup de changements et c’est positif !
Voir la vidéo d’un déjeuner au Lucas Carton :
Sa bio en dates :
- Septembre 2022 - aujourd’hui : directrice de restaurant au Lucas Carton à Paris
- Octobre 2019 - août 2022 : directrice de restaurant à La Dame de Pic à Paris
- Juin 2017 - mai 2019 : chef de rang à Maison Pic à Valence ; maître d'hôtel à La Dame de Pic à Londres
- 2014 - 2017 : saisons - commis, puis chef de rang petit-déjeuner au Casadelmar, l'été ; commis aux Barmes de l'Ours à Val d'Isère et au Restaurant L'Oxalys - Jean Sulpice à Val-Thorens, l'hiver
- 2007 - 2013 : BEP, Baccalauréat professionnel et BTS au lycée hôtelier de Dinard
Infos pratiques :
- Maison Lucas Carton
- 9 Place de la Madeleine, 75008 Paris
- https://www.lucascarton.com/accueil