Dans la série « Hospitalité engagée », menée en collaboration avec l’association Les Grandes Tables du Monde, Un oeil en salle aborde aujourd’hui son quatrième thème : « Donner du sens au service avec des produits fabriqués dans la maison ». Retours d’expériences de trois établissements membres des Grandes Tables du Monde : le Flocons de Sel, la Maison Bras et La Grenouillère. Trois visions distinctes, et trois façons de mettre en scène les produits à travers le service en salle.

Si le principe d’autarcie au sein d’un restaurant peut faire rêver, de par la maîtrise de qualité qui y est intrinsèquement liée, certaines maisons tendent peu à peu vers cela. Véritable vecteur d’échanges, les produits fabriqués ou cultivés sur place ont une place importante dans l’expérience durant le repas, et parfois même après. C’est le cas au Flocons de Sel de Sel à Megève (74), restaurant triplement étoilé de Kristine et Emmanuel Renaut. Intimement lié à la montagne, le chef mégevan concocte depuis peu ses propres alcools à base de produits issus de sa cueillette. « Le chef a créé sa distillerie et fabrique notamment de la sapinette, du génépi et du gin. Ce dernier évolue au fil des saisons, s’enrichissant grâce à des macérations de berce ou de carvi. Chez nous, les équipes de salle vont à la cueillette pour les plantes comme pour les champignons. Ainsi, tout le monde peut participer au service des produits qui en sont issus, explique Fabien Rodriguez, directeur de salle. C’est important pour le client de voir que tout le monde s’implique, du directeur au commis. Le chef fait également des essais pour réaliser un Negroni pré-assemblé en bouteille. Un très bon cocktail, facile à prendre en main par les équipes, et avec une vraie histoire dans le verre, c’est ce qui est important chez nous ! Les clients recherchent également de plus en plus d’authenticité et d’identité dans les restaurants, cela peut aussi passer par-là. »

« Grâce aux produits maison et à la cueillette, nous ouvrons davantage les portes de notre maison au client. »
— Fabien Rodriguez, directeur de salle au Flocons de Sel



Une démarche d’identité dans laquelle le restaurant Le Suquet à Laguiole (12), tenu par Michel et Sébastien Bras, s’inscrit déjà depuis de nombreuses années. En effet, Sébastien Bras, et Michel avant lui, pensent leur cuisine à travers les paysages qui les entourent. Charles Decoene, directeur du restaurant, participe à transmettre l’authenticité d’une maison ancrée dans ses racines. « L’équipe de salle participe à la cueillette, et nous allons également cueillir les fleurs qui décorent la salle, dans le jardin de Michel le matin ou l’après-midi en cueillette sauvage. Chez nous, chaque chose a un sens et rien n’est fait par hasard ! » dit-il. Par exemple, le pain est présenté dans une grande serviette en lin, et on inscrit sur ce dernier le nom du client. C’est une attention qui touche énormément les clients et à laquelle nous tenons. Un clin d’œil au passé et au four à pain du village, au même titre que l’aligot dont l’équipe de salle réalise le filage en salle en hommage aux origines de la maison… »



Pour Rodolphe Pugnat, sommelier à La Grenouillère à La Madeleine-sous-Montreuil (62), restaurant doublement étoilé du chef Alexandre Gauthier, le juste dosage est essentiel afin de ne pas passer outre l’environnement du restaurant. « Le fait de produire soi-même ne doit pas effacer le travail des producteurs qui nous entourent. Au restaurant, nous fabriquons certaines choses comme les vinaigres qui sont stockés dans de belles dames-jeannes, prenant le soleil à la vue des clients. Nos équipes vont à la cueillette, nous faisons notre propre miel pour la boutique, mais on ne veut pas aller trop loin dans cette démarche. Nous avons des producteurs et des artisans autour de nous, et préférons les mettre en valeur plutôt que de vouloir trop en faire. » Fruit d’un double travail, entre production et intégration au cœur du repas, les produits réalisés sur place ont bel et bien un troisième instant à vivre. Cette fois-ci, grâce aux équipes de salle.


Quand le geste de service s’adapte au produit
Très attaché à l’histoire et à l’authenticité du restaurant dans lequel il évolue, Charles Decoene affectionne particulièrement l’une des séquences de service réalisées au Suquet. « Nous avons un chariot un petit peu particulier que l’on présente au client pour terminer le repas avec ce que nous appelons « Les Canailleries ». Le cérémonial a été pensé autour du produit, reconstituant l’esprit d’un chariot de glacier sur lequel nous venons agrémenter de petits cônes avec des préparations. Initialement garnis de crème fouettée, on y trouve aujourd’hui des mousses, des glaces, des sorbets ou encore des compotées. On vient ensuite ajouter des niacs sur le dessus, qui sont des éléments de texture que l’on retrouve également à différents moments du menu. Un retour en enfance durant lequel l’équipe de salle créée un lien très chaleureux avec les clients. »

« Au moment de poser une assiette, on est beaucoup plus attentionné quand on a œuvré à la cueillette des produits. »
— Charles Decoene, Maison Bras




Pour Rodolphe Pugnat comme pour Fabien Rodriguez, le lien entre le jardin et le client se fait, entre autres, à la fin du repas. « Nous avons une table d’infusions que nous préparons avant le service, explique le premier. Nous préparons des tisanes pour nos clients sur cette dernière avec des plantes fraîches de notre « tisanerie » dans laquelle nos clients peuvent aller se promener en sortant de table. » Un instant partagé par Fabien Rodriguez d’une façon légèrement différente, puisque ce sont les plantes qui viennent au client dans une boîte à infusions. « Nous avons éliminé le support papier au profit du support matière. 80% des infusions sont fraîches, et le fait de les présenter ainsi a créé une vente additionnelle assez conséquente, prolongeant le repas et amenant naturellement au digestif. »
Une expérience qui s’emporte à domicile
Générateur de moments d’échanges et de dégustations « identitaires » autour de la table, il arrive que ces produits se changent en cadeaux ou en souvenirs à rapporter à la maison. C’est le cas au restaurant La Grenouillère où le pain au levain servi à table peut être commandé, uniquement par les clients de l’hôtel et du restaurant. « Quand un client nous parle du pain, nous pouvons être amenés à lui proposer. Rentrer chez soi avec une miche d’un kilo est un joli souvenir du moment passé dans notre restaurant. Le pain c’est la convivialité, le partage, et il est important de continuer à partager avec le client, même après son départ. Nous avons également une boutique attenante au restaurant où nous vendons des produits alimentaires, quelques pièces de Syl, la céramiste de Boulogne-sur-Mer qui réalise la vaisselle du restaurant, ainsi que du miel de nos ruches. Un petit peu de chez nous, à emporter avec soi pour poursuivre l’expérience. »

« Le fait de produire soi-même ne doit pas effacer le travail des producteurs qui nous entourent. »
— Rodolphe Pugnat, sommelier à La Grenouillère




Au Suquet, ce sont des bribes de l’ensemble du menu qui peuvent être achetées à la boutique. Très présents dans la cuisine de Sébastien Bras, les fameux “niacs” majoritairement réalisés par le restaurant sont proposés dans de petits contenants adaptés à chacun. « Une touche d’huile à la cistre que l’on retrouve sur le Gargouillou, un croustillant de miel du Suquet, un niac d’olives noires qui accommode les poissons, des vinaigres, des confitures, des sirops, des poudres…« , détaille Charles Decoene. Les niacs peuvent prendre différentes formes et sont très prisés par nos clients. Parfois, certains d’entre-eux nous envoient même des photos de plats qu’ils ont réalisé chez eux avec ces éléments. En plus du souvenir, cela prolonge l’interaction et nous en sommes ravis !» Proposés à la voix au restaurant et régulièrement suggérés au bouche-à-oreille par le chef, les alcools d’Emmanuel Renaut sont, quant-à eux, en vente à la réception du restaurant, mais également dans sa cave Le Flocons Village située en centre-ville. Au-delà d’un produit, c’est bel et bien un point d’ancrage. Que l’on peut acheter ou déguster… nulle part ailleurs.
À l’instar des niacs, du gin, des plantes de la tisanerie, du miel du jardin, du pain maison, du Negroni ou de l’aligot, tous les produits maison ont ce supplément d’âme qui, à travers la beauté du service, font du repas un instant unique.