Réinventées en avril 2016 peu de temps après l’arrivée du chef Philippe Labbé, les Crêpes Mademoiselle, anciennement nommées Belle-Époque, rendent un hommage encore plus appuyé à Claude Terrail qui aimait faire référence aux femmes sur la carte de restaurant. Après des dizaines d’essais en cuisine et en salle, cette technique ‘deux-en-une’ passe de -200 à +200°C en 11 minutes à peine. Un « show » assuré – et mesuré – pour les clients. Stéphane Trapier, directeur de salle, et Virginie Reynaud, sommelière, nous l’expliquent en pas-à-pas avec, en prime, l’avis du scientifique Christophe Lavelle.
Ingrédients pour 2 personnes :
1er guéridon :
- 30 grs de beurre
- Un demi-citron
- 2 cuillères à entremets de sucre
- 2 segments d’oranges
- Zestes de citron et d’oranges déshydratés
- Filaments d’oranges confits au sirop
- Jus d’orange frais pressé
- Crêpes (3 par personne)
- Un mélange ‘maison ‘ (Grand-Marnier, Cointreau, Mandarine Impériale)
2ème guéridon :
- Azote dans le thermos
- Caillé
- Un citron
- Un sceau à glace en coque plexiglas avec fouet
1ère technique : le flambage des crêpes
2ème technique : la glace à l’azote
Les 2 techniques simultanées
Finitions et dressage
- Prix : 52 € uniquement à la carte (« un tarif volontairement élevé, car cette technique ne doit pas être galvaudée », dit Stéphane Trapier).
- Accords vins : Un Jurançon ou bien un Pinot gris en vendanges tardives d’Alsace.
Le mot du scientifique : « Chaud froid extrêmes »
Les « crêpes Mademoiselle, sorbet minute au caillé de lait cru » est un plat qui aurait aussi bien pu s’intituler « la vapeur et la flamme » ou « chaud froid extrêmes » ou encore « +/- 200°C »… En effet, il repose sur l’utilisation conjointe de deux techniques de salle, mixant tradition et modernité*: d’un côté, le flambage, où les ingrédients sont soumis à la chaleur de la flamme ; de l’autre, la « cuisine à l’azote » (ou « cryocooking » chez nos amis anglo-saxons), où les ingrédients subissent le froid extrême de l’azote liquide.
Quelles sont les températures et réactions en jeu ? Tout d’abord, côté crêpes, un plateau métallique est posé sur un brûleur à alcool: le métal étant un excellent conducteur de chaleur, la flamme porte rapidement le plateau à plus de 160°C, température nécessaire pour entamer la caramélisation du sucre. La réaction est ensuite stoppée par l’ajout de matière grasse puis de cognac dont les changements d’état (respectivement fusion du beurre et vaporisation du cognac) capturent la chaleur du milieu. C’est à ce moment que le maitre d’hôtel enflamme les vapeurs de cognac, en prenant soin d’agiter le plateau pour veiller à un flambage optimal de tout l’alcool et éviter en même temps tout point de chauffe qui pourrait brûler les crêpes.
De l’autre côté, de l’azote liquide est versé sur un caillé de brebis : l’azote, qui sort à -196°C de la bonbonne, entre alors instantanément en ébullition en capturant au passage toute la chaleur contenue dans la caillé, dont la température chute brutalement: de minuscules cristaux de glace se forment au sein de l’appareil, qui congèle en quelques secondes et peut être dressé sur les crêpes. La glace obtenue, constituée de cristaux de très petite taille (proche en fait de ce que l’on pourrait obtenir au Pacojet), est particulièrement onctueuse en bouche; par contre, pour la même raison, elle fond assez vite, le dessert doit donc être servi rapidement, ce que permet fort opportunément l’usage du service au guéridon.
On notera le spectaculaire dégagement de vapeur lors de la confection du sorbet, qui s’ajoute au spectacle de la flamme se déroulant en même temps à côté. En effet, 1 litre d’azote liquide donne 700 litres d’azote gazeux qui, en s’échappant, condensent la vapeur d’eau contenue dans l’air alentour, créant les volutes qui se propagent autour de la préparation, rappelant le spectacle des nuages portés par les flux d’air que l’on voit parfois léchant les cols et sommets en montagne. De quoi fasciner le client et l’emporter dans la magie de ce dessert unique.
* On notera que tradition et modernité sont en fait plus proches qu’il n’y parait, puisque si la recette de la crêpe Suzette est souvent attribuée à Escoffier qui l’aurait servie pour la première fois en 1896 (tout en notant que la recette originale ne comporte pas de flambage!..), la première mention de l’usage de l’azote liquide pour confectionner une glace remonte quant à elle à… 1901 (!)… même s’il faut attendre 80 ans plus tard pour trouver la première vraie « recette » publiée par un chef, en l’occurrence sous la plume d’André Daguin dans Le Nouveau Cuisinier gascon (1981).
Par Christophe Lavelle, chercheur au CNRS et au Muséum National d’Histoire Naturelle à Paris, et co-fondateur du Food 2.0 Lab
Infos pratiques :
La Tour d’Argent, 17 quai de la Tournelle, 75 005 Paris – www.tourdargent.com
1 commentaire
Magnifique photos !