Dans la série « Hospitalité engagée », menée en collaboration avec l’association Les Grandes Tables du Monde, Un œil en salle aborde son huitième thème : « L’éducation du client face au no-show ». Retours d’expériences de trois établissements membres des Grandes Tables du Monde : La Merise à Laubach ** (France), le restaurant Joël Robuchon à Tokyo *** (Japon) et l’Atelier Crenn à San Francisco *** (États-Unis). Véritable gouffre financier, le « no-show » peut être endigué de différentes façons, selon la culture du pays. Exemples de professionnels qui ont leur piste de réflexion pour responsabiliser le client.
« No-show » est un néologisme qui vient des Anglais. Dans le Cambridge Dictionnary, il est défini ainsi : « a person who is expected but does not arrive. » Comprendre : « une personne qui est attendue mais qui n’arrive pas ». Ce fléau touche surtout le monde de la restauration, lorsque les clients réservent une table, et finalement ne viennent pas. Voilà une habitude fort désagréable. Et fort coûteuse, si l’on en croit une enquête de TheFork : « les clients qui n’honorent pas leurs réservations représentent un manque à gagner de 5 à 20% pour les restaurateurs. » Une dynamique en augmentation suite à la crise sanitaire ; les no-shows ont augmenté de 20% durant les premiers mois du déconfinement. Cette perte de chiffre d’affaires empêchent les établissements de renouveler leur clientèle comme ils le souhaiteraient. Et cela implique, de fait, des tables vides durant les services. Y compris lorsque le restaurant est complet ! Pour Maxime Larquier, directeur de l’Atelier Crenn *** à San Francisco (États-Unis) et partner du Groupe Crenn, « responsabiliser le client est une nécessité. Il ne faut pas avoir peur de l’éduquer avec des actes poussés. Quand on est dans cette démarche, on devient un peu « propriétaire » du client et de son éducation. » Depuis 2018, le restaurant triplement étoilé de la cheffe Dominique Crenn demande aux clients de choisir leurs expériences en ligne et de régler l’ensemble de la table d’avance pour valider la réservation. « Nous sommes passés d’un pourcentage compris entre 12 et 15 % de no-shows à 0,8 % à l’heure actuelle. Cette minorité restante se compose de clients qui ont réservé dans deux adresses afin de choisir en dernière minute. Qu’ils viennent ou non, ils acceptent que le restaurant encaisse leur règlement ! Ce paiement en avance nous apporte donc davantage de sérénité, et nous permet également de régler nos fournisseurs à la semaine, leur apportant aussi la même sérénité. »
« Avec la mise en place du paiement intégral à la réservation en 2018, nous sommes passés d’un pourcentage compris entre 12 et 15 % de no-shows à 0,8 % à l’heure actuelle »
— Maxime Larquier, directeur de l’Atelier Crenn *** à San Francisco (États-Unis) et partner du Groupe Crenn
Les us diffèrent d’un continent à l’autre
Ce cercle vertueux décrit à San Francisco, la France s’en approche à grand pas ! Le paiement intégral à la réservation n’est certes pas encore appliqué dans l’Hexagone, mais l’empreinte bancaire s’est largement démocratisée depuis plusieurs années. Au restaurant La Merise ** de Christelle et Cédric Deckert à Laubach (France), les débuts n’ont pas été simples. « Lorsque nous avons mis une empreinte de 50 € en place il y a trois ans, les clients avaient beaucoup de mal à comprendre, et nous devions nous expliquer chaque jour« , confie Christelle Deckert. Nous avons ensuite doublé le montant de l’empreinte car cela n’était encore pas assez engageant, et aujourd’hui, nous n’avons plus aucun problème ! » Moins concerné par la non-présentation de la clientèle, le restaurant Joël Robuchon *** à Tokyo (Japon) a tout de même mis en place une empreinte de carte bancaire pour les clients étrangers, contraints de réserver en ligne. « Il est difficile d’obtenir une réservation chez nous, et nos clients ne laissent généralement pas passer l’occasion de vivre cette expérience, indique Sahbi Mustapha, directeur du restaurant. Le no-show n’est donc pas vraiment un problème ici. De plus, notre équipe de réception contacte tous les clients la veille de leur repas afin de confirmer et vérifier s’il y a des changements dans le nombre de couverts, les allergies et l’horaire d’arrivée » Ici comme ailleurs, et quel que soit le procédé choisi, tout passe par une bonne communication.
« Lorsque nous avons mis une empreinte de 50 € en place il y a trois ans, les clients avaient beaucoup de mal à comprendre et nous devions nous expliquer chaque jour »
— Christelle Deckert, directrice de salle et copropriétaire à La Merise ** à Laubach (France)
© La Merise
La narration comme fer de lance
Baigné depuis longtemps dans un pays qui ose beaucoup plus que la France à ce sujet, Maxime Larquier demeure conscient de l’intérêt d’expliquer les choses aux clients. « Nous avons vraiment insisté sur la narration auprès du client. Comme lorsque l’on achète une place de cinéma sans aller voir le film, tout achat est définitif chez nous. Bien entendu, il arrive de faire du cas par cas lorsqu’un client a un véritable impératif. Par exemple, il a la possibilité de revendre sa table au même prix, ou moins cher, afin d’être sûr de trouver preneur. Une table que nous pouvons également proposer aux clients placés sur la liste d’attente pour le service en question. Dans ce cas, le second client achète l’ensemble de la table, et le premier est ensuite remboursé par notre restaurant ! Séduite par cette méthode, Christelle Deckert reste pour autant frileuse. « Je pense que si toute la restauration gastronomique applique le pré-paiement, cela passera auprès de notre clientèle. Quelque part, c’est une certaine forme de respect pour le restaurant et son personnel, leur assurant un salaire garanti. Pour autant, il faudra sans doute un temps d’adaptation, au même titre que pour l’empreinte bancaire.«
Sur le « Vieux Continent », le chemin semble encore long avant d’arriver à 0 % de no-show, tant la liberté du consommateur face à ses hypothétiques obligations est considérée comme reine. Peu à peu, l’idée du pré-paiement commence à germer en région parisienne, et pourrait bien s’étendre dans toute la France. « Quand on paye un mois avant, on n’a rien à dépenser le jour J, ce qui est un vrai levier psychologique. Le client a donc davantage tendance à se faire plaisir ! », constate Maxime Marquier, qui parle aussi d’augmentation de la vente additionnelle. Un exemple concret qui peut convaincre à passer au pré-paiement…
« Notre équipe de réception contacte tous les clients la veille de leur repas afin de confirmer et vérifier s’il y a des changements »
— Sahbi Mustapha, directeur du restaurant Joël Robuchon *** à Tokyo (Japon)
© Joel Robuchon
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