Le 9 février 2017, le directeur de salle fêtait ses 30 ans au Lucas Carton. De l’époque Senderens avec ses trois étoiles Michelin en passant par le rachat par le Groupe Vranken et le changement de chef, Loïc Morvan raconte son bonheur d’avoir grandi professionnellement dans une salle de restaurant classée monument historique. Il détaille aussi l’évolution grandissante de la clientèle et ses désidératas.

Loïc Morvan : « Je suis véritablement rentré dans une maison de brigade. »
Un œil en salle : Vous êtes arrivé à la grande époque du Lucas Carton, trois étoiles Michelin en 1987. Quel est votre souvenir ?
Loïc Morvan : En effet, à cette période, les places étaient chères. Je me rappelle avoir mis un an à obtenir un poste de chef de rang. Je connaissais quelqu’un qui travaillait ici, en partance, et qui m’a présenté au directeur de l’époque. J’ai donc intégré Lucas Carton par chance, et avec un tel bonheur puisqu’il s’agissait de mon premier trois étoiles Michelin. Géré par Alain Senderens, Lucas Carton était en plein boom, l’un des restaurants les plus renommés de la capitale. Je suis véritablement rentré dans une maison de brigade. Nous étions 20 en salle, dont 4 maîtres d’hôtel et 5 sommeliers. Un rang comptait 6 tables. Je me souviens du canard Apicius [poché et rôti au miel et aux épices, ndlr], des crêpes Suzette, la finition meunière sur les filets de rouget, des huîtres Belon lutées… À l’étage, il y avait à l’époque un second restaurant type club privé qui s’appelait Le Cercle, avec une autre brigade de salle ; sans compter les salons privés toujours très convoités.
Entre les années 80 et aujourd’hui, les exigences de la clientèle ont-elles évolué ?
L.M : Les clients – majoritairement étrangers – avaient des moyens considérables ; certains prenaient même le Concorde pour venir manger. J’ai la chance d’avoir vécu cela ; ce qui n’est dorénavant plus le cas. Nous travaillions aussi d’une façon différente, car il n’y avait pas l’informatique. Nous devions tout retenir de tête. Heureusement, nous avons dorénavant le cardex avec le fichier clients. Si un client n’aime pas avoir de fleurs sur table, ou si un autre souhaite avoir sa bouteille d’eau sur table avant même son arrivée, tout est maîtrisé et répertorié dans notre logiciel. La technologie a révolutionné le métier. Dans les années 80/90, les gens s’apprêtaient pour venir au restaurant, ce qui est moins fréquent aujourd’hui. Nous ne pouvons plus leur imposer de codes vestimentaires. Ils sont en recherche d’un accueil plus généreux et décontracté. Le mot d’ordre : adaptabilité ! Nous sommes là pour le bonheur.

La salle de restaurant (50 couverts) est classée monument historique (copyright Fred Laures).
Pouvez-vous nous détailler les changements de direction ?
L.M : Actuellement, nous sommes 11 personnes en salle réparties entre le gastronomique, au rez-de-chaussée et la brasserie, à l’étage. La brigade est donc moins nombreuse qu’à l’origine. Après moi, le plus ancien est le chef sommelier Julien Terrier (10 ans de maison). Cette maison a complètement évolué. En 2005, Alain Senderens rend ses étoiles et évolue pour un décor plus « modeste ». En 2013, il cède ses parts à son associé Paul-François Vranken pour remettre, ensemble, l’enseigne Lucas Carton. Depuis juillet 2014, après le départ d’Alain Senderens, le restaurant (50 couverts) s’est à nouveau restructuré avec l’arrivée du chef Julien Dumas. Nous avons remis Lucas Carton dans son « jus » avec des nappes, de l’argenterie. Le service, c’est une multitude de petits détails pour le confort du client. C’est aussi un travail d’équipe. Tout le monde doit aller dans même le sens, du commis jusqu’au directeur de salle.
Votre meilleur souvenir ?
L.M : J’ai eu la chance de passer des caps qui m’ont permis de progresser dans mon métier. Je ne me suis jamais ennuyé en 30 ans. Alain Senderens – que je nomme mon ‘papa du goût’ – m’a fait participé à ses essais en cuisine. J’ai aussi eu le privilège d’accéder à de beaux flacons. Je me rappellerai toujours de l’accord Lièvre à la royale avec un Beaucastel 83, exceptionnel. Le Groupe Vranken nous soutient continue aussi à faire évoluer la maison pour décrocher la deuxième étoile.
Quelles sont les 2 qualités nécessaires pour percer dans le métier ?
L.M : Être curieux et passionné.
Sa bio, en dates :
- 1962 : naissance à Nantes (44)
- 1979 : BEP service en salle au lycée de Guérande, puis BTH au lycée Ste Anne de St Nazaire
- 1981 : chef de rang au Mas des Herbes Blanches à Joucas (84)
- 1983 : chef de rang dans un Relais & Châteaux à Highbury (Angleterre)
- 1984 : service militaire à Rennes (35)
- 1985 : chef de rang à La Balette à Collioure (66)
- 1987/1990/1995/2004 : chef de rang, maître d’hôtel, premier maître d’hôtel, directeur de salle chez Senderens à Paris (VIIIe) devenu Lucas Carton en 2013
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Infos pratiques :
Lucas Carton, 9 Place de la Madeleine, 75008 Paris / www.lucascarton.com