Il a exercé dans plusieurs belles maisons de Provence, là où il est né et a grandi, dans le Vaucluse (84). De nature souriant, Pascal Estève s’est construit avec le temps et l’expérience. Depuis février 2018, il est directeur de salle au Clair de la Plume, restaurant étoilé situé à Grignan (26), l’un des plus beaux villages de France. Aux côtés du propriétaire Jean-Luc Valadeau et du chef Julien Allano, ce quadra partage une expérience de service différente, et fait la part belle aux produits de la Drôme (truffes de Grignan, olives de Nyons…). Rencontre.
Un œil en salle : Comment en vient-on aux métiers de salle ?
Pascal Estève : Le fruit du hasard. Car je ne me destinais pas à ce métier. Je rêvais d’être sapeur-pompier. J’ai toujours été attiré par le vin, de par mon grand-père épicurien avec qui je dégustais du Champagne. Des souvenirs qui marquent. J’ai eu la chance de rencontrer Sergio Méloni, ancien directeur de salle de l’Oustau de Baumanière aux Baux-de-Provence (13), qui m’a transmis sa passion. Mon mentor. Il allait toujours chercher la perfection.
Quel a été votre début de parcours ?
PE : Après un CAP et BEP restaurant en alternance à l’Oustau de Baumanière, j’ai fait mon service militaire à Paris avant de revenir chef de rang pour une saison à l’Oustau, déjà deux étoiles Michelin. Puis, j’ai enchainé deux belles expériences d’une année au Jardin des Sens à Montpellier (34), et chez Georges Blanc à Vonnas (01). Ensuite, j’étais responsable durant 5 ans au Bistrot du Paradou à Paradou (13). Un bistrot familial tenu par Jean-Louis Pons en salle, et sa femme Mireille en cuisine. J’ai évolué personnellement. De nature timide, j’ai affirmé ma personnalité grâce à mon métier. Ça m’a beaucoup aidé. C’est là que j’ai également découvert l’esprit de convivialité et de partage avec le client.
Vous avez enchainé plusieurs expériences très courtes. Pourquoi ?
PE : Sur le curriculum vitae, ça peut paraitre « instable ». Le fait d’avoir un parcours d’un an, par-ci par-là. Je ne voulais pas m’installer, c’était une volonté de découvrir d’autres personnages, d’autres univers. J’étais jeune, et j’ai rencontré ma femme très vite. Ce qui m’a manqué, c’est justement de pouvoir partir davantage, notamment à l’étranger, en Espagne. Notre métier permet de faire de belles rencontres, et culinairement parlant, de faire des découvertes de produits, de vins.
Vous êtes donc resté dans votre région natale, en Provence-Alpes-Côte-D’azur…
PE : Originaire de Cavaillon (84), j’ai en effet grandi et évolué dans les environs où les perspectives de carrière ne manquent pas. J’étais respectivement maître d’hôtel pour Reine Sammut à l’Auberge La Fenière à Cadenet (84), puis au Hameau des Baux à Paradou – au poste plutôt polyvalent que je qualifierai de maître de maison. Je jonglais entre la préparation et le service des petits-déjeuners, puis un tour au jardin pour tondre la pelouse, tailler les rosiers, m’occuper de la piscine… C’était à la création de l’établissement, aujourd’hui étoilé. Une expérience formatrice.
Après une pause professionnelle, vous êtes finalement revenu à votre métier passion ?
PE : En effet, j’ai arrêté le métier, une période compliquée personnellement. Je me suis mis entre parenthèses pendant deux ans. Aujourd’hui, ça m’a rendu plus fort, je veux profiter de chaque instant, avancer, me perfectionner, être au top. Mais, le contact humain me manquait. De là, je suis retourné dans le sérail, au restaurant bar à vins AOC à Avignon (84). Je gérais la salle et je me suis familiarisé au milieu du vin, des vignerons.
C’est un luxe de prendre du plaisir à travailler.
Depuis février 2018, vous avez intégré le Clair de la Plume en tant que directeur de salle. Quelle a été votre motivation ?
PE : Dès ma rencontre avec le chef Julien Allano et le directeur général Jean-Luc Valadeau, je me suis senti en confiance. Lors de l’entretien, ils m’ont clairement dit qu’ils recherchaient une stabilité en salle, et à construire une équipe. L’objectif est d’aller chercher la deuxième étoile. Le challenge étoilé m’a plu, l’envie d’aller dans cette même direction et de vivre pleinement cette aventure !
Qu’est-ce qui vous a plu ?
PE : Ce qui m’a plu, c’est la maison. Elle dégage une sérénité. Le moment passé avec le chef, comme je le disais avant, aussi. Nous avons la même façon de travailler et de voir les choses. Les équipes ne sont pas éparpillées, tout le monde travaille ensemble. L’ambiance de travail est bonne ; si on le ressent, alors le client ressent également l’évasion et le bien-être. D’ailleurs, ce sont des termes très importants pour moi, pour les convives et pour le personnel. C’est un luxe de prendre du plaisir à travailler.
Cette notion de bien-être, vous l’inculquez à vos équipes ?
PE : J’essaye de leur faire comprendre, et de leur faire vivre surtout. Prenez du plaisir, n’oubliez pas cette notion. Si vous la vivez, alors vous allez la transmettre à vos clients. Donnez le meilleur de vous chaque jour. Nous actuellement 5 en salle, dont un sommelier Julien Pratabury, pour 25 à 30 couverts.
Quelle est votre fonction au quotidien ?
PE : Je suis responsable de salle, mais polyvalent. Je peux être amené à faire le plateau de fromages, comme faire la mise en place, mettre la terrasse l’été ou bien réaliser le travail d’office. J’aime le terrain. Ça ne me dérange pas de repasser une nappe, faire l’aspirateur ou des assiettes au vinaigre. Mon plaisir, c’est de réaliser le plateau de fromages et le plateau de truffes. Pour moi, maître d’hôtel, c’est être aux côtés des équipes, pas derrière un bureau à gérer l’administratif ou faire du management. Si demain on me proposait un poste dans un palace à faire des plannings ou être en retrait, même avec 1000 euros de plus par mois, je dirai non. Je suis un touche-à-tout ! C’est ce qui caractérise notre métier !
La particularité du Clair de la Plume, c’est que le chef prend les commandes. Qu’en pensez-vous ?
PE : Ça ne me dérange pas du tout. Au contraire. Je passe plus de temps à l’accueil. Le chef, de par son côté théâtral, va mettre le client dans l’ambiance avec les menus qu’il présente. Il rentre en scène et explique sa cuisine. Ensuite c’est le ballet qui commence – dont je m’occupe. On a chacun trouvé notre place. On ne se gêne pas. On est même très complices. Julien Allano va me faire confiance sur le suivi du service, la bienveillance. Il reste présent au-delà de la prise de commande (le chef a embauché un sous-chef pour le seconder quand il est en salle, NDLR), mais je crois que c’est ce qui fait la beauté de cette maison !
Justement, quel est le retour des clients ?
PE : Le client se laisse guider facilement avec les explications du chef, et prend des produits qu’il n’aurait certainement pas commandé en temps normal. Car c’est un Menu carte blanche appelé « Confiance », servi en 3, 4 ou 5 chapitres. Les mets ne sont donc pas écrits. En amont, il y a un travail sur les allergènes pris à la réservation. Donc, nous les cernons déjà avant même leur arrivée. S’il y a un nouveau plat à la carte, on fait un briefing et on le déguste.
Et les techniques ?
PE : J’aimerai donner une autre dimension au service avec des techniques. Couper un pigeon ou une poularde, flamber un dessert en salle. Il y a un effet magique. Mais il faut avoir du temps et des ressources.
Ressentez-vous une évolution de la clientèle depuis que vous faites ce métier ?
PE : Si le client vient dans un étoilé, je ne crois pas que ce soit pour un service pompeux avec une personne derrière soi. Il recherche quelque chose d’aéré, fluide, sincère. À mon sens, avec l’évolution de la société, l’authenticité a encore plus d’impact aujourd’hui. Il faut être présent, tout en étant en retrait, et mettre les convives en valeur.
Selon vous, qu’est-ce qu’un service parfait ?
PE : Ça démarre à l’accueil où tu es reçu avec le sourire. Qu’on te fasse comprendre que tu es le bienvenu. Après, on peut se louper sur une cuisson ou le service d’un vin, mais si tu as une réactivité et du bon sens, ce n’est pas ce que je vais retenir. Du moment que je passe un bon moment avec un personnel professionnel.
Quel regard avez-vous sur les jeunes qui sortent de l’école ?
PE : Je pense que quel que soit le diplôme que tu prépares, tu démarres par le bas. Il faut gravir les échelons, pas à pas, plus ou moins vite. Tu ne peux pas évoluer sur un poste à responsabilité sans expérience. Cette dernière est tellement importante. C’est le décalage qu’il y a, à mon sens, entre le monde professionnel et l’école. La génération actuelle est ultra motivée et pleine de projets, mais je crois qu’il ne faut pas « griller » les étapes.
Comment collaborez-vous avec eux ?
PE : Aujourd’hui, il faut faire le père, la mère, le psychologue. Il faut aussi les accompagner H24, leur donner confiance, et les mettre en valeur. Je prends à cœur de recevoir un stagiaire ou un apprenti ; l’objectif est de le former, et de le mener par le haut. Notre métier est beau, et il est important de le transmettre.
Sa bio, en dates :
- 1976 : naissance à Cavaillon (84)
- 1992-1994 : CAP restaurant, puis BEP restaurant en alternance à l’école hôtelière d’Avignon (84) et à l’Oustau de Baumanière aux Baux-de-Provence (13)
- 1995 : service militaire dans les appartements privés du Ministère de la Défense, puis du Ministère de l’Intérieur
- 1996 : chef de rang en saison à l’Oustau de Baumanière aux Baux-de-Provence (13)
- 1997 : chef de rang au Jardin des Sens à Montpellier (34)
- 1998 : chef de rang chez Georges Blanc à Vonnas (01)
- 1998-2003 : responsable de salle au Bistrot du Paradou à Paradou (13)
- 2003-2004 : maître d’hôtel à l’Auberge La Fenière à Cadenet (84)
- 2004-2006 : maître d’hôtel – jardinier au Hameau des Baux à Paradou (13)
- 2006-2008 : période hors restauration
- 2009-2014 : responsable de salle au Restaurant AOC à Avignon (84)
- 2015-2017 : responsable de salle au Mas de Peint à Arles (13)
- Depuis février 2018 : directeur de salle au Clair de la Plume à Grignan (84)
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Infos pratiques :
Le Clair de la Plume, 2 Place du Mail, 26230 Grignan – www.clairplume.com
1 commentaire
Très bel article !
Bravo pour votre engagement Monsieur Estève! J’espère vous accueillir un jour à Bandol ?
Merci Hélène Binet pour ce bel article 🙏🏻
Tiago Martins