Arrivé en 1969 à Paris sans parler la langue, ni travail et argent, seulement son « beau costume pour faire honneur à cette belle ville », ce Bavarois a obtenu une place après moult tentatives dans l’hôtel qui le faisait tant rêver, le Plaza Athénée. Avec la détermination qui le caractérise, Werner Kuchler a, 47 ans plus tard, réussi à apporter une réputation au Relais Plaza. Le crooner des lieux a quitté ses fonctions le 14 mars, jour de la fermeture administrative pour Covid-19, en laissant ce restaurant comme il l’imaginait, festif, musical et élégant. Interview-confession sur sa carrière.
Un oeil en salle: Vous êtes donc parti le jour du confinement, après 47 ans au Plaza Athénée…
Werner Küchler : Le samedi 14 mars au soir, jour où le Gouvernement a annoncé la fermeture des hôtels et restaurants, je devais dire au revoir à mes équipes au Relais Plaza. En arrivant, j’ai vu que le Plaza Athénée s’y préparait. Là, je croise un charmant client italien, un habitué, je lui demande de m’accompagner pour boire une dernière coupe avec ma compagne, Christine. À minuit, nous étions dehors… J’ai quitté le Relais Plaza en musique avec du Champagne. Une merveilleuse soirée Jazz. Je pense que le Covid va faire en sorte que cette ambiance soit compliquée à retrouver de suite. C’était donc le moment, peut-être, de fermer le livre Plaza Athénée.
Rappelez-vous de votre arrivée au Plaza en 1973 ?
WK : Je me souviens très bien… Je suis Bavarois, né dans un village à proximité d’Ulm (Allemagne), et plus jeune, je ne voulais pas faire mon service militaire. J’ai donc pris un grand sac de voyage pour venir à Paris. Arrivé à la Gare de l’Est, on m’avait tout volé y compris le Passeport. Je n’avais absolument rien, à part mon beau costume. Car je voulais faire honneur à cette belle ville. Je ne connaissais personne. Je ne parlais pas français. Je n’avais plus d’argent, ni de travail. Et je ne pouvais plus retourner dans mon pays. Mais,avec tous ces problèmes et ces nuits passées sous le pont Alexandre III, mon rêve était d’aller dans le meilleur hôtel de Paris ! J’ai toujours eu envie de rejoindre les meilleurs ! Ma première demande était le Plaza Athénée. J’ai fait 4 tentatives, en vain. Finalement, Paul Bougenaux, directeur général de l’époque, avait entendu parler d’un jeune homme qui ne cessait de venir demander du travail… Il m’a reçu dans son appartement privé et proposé un poste au room-service. J’ai enfin pu intégrer les équipes en 1973, alors que j’étais arrivé en 1969 en France…
Comment avez-vous vécu votre évolution professionnelle pendant plus de 40 ans dans un même lieu ?
WK : Je voulais travailler au restaurant, au Relais Plaza, considéré comme un club privé. Ce qui m’intéressait, c’était d’avoir un contact différent avec le client, et non de poursuivre au room-service. J’étais un des premiers, venant d’un autre service de l’hôtel, à rejoindre le Relais Plaza à l’ambiance très discrète et confinée. De chef de rang, j’ai gravi les échelons en observant beaucoup, jusqu’au poste de maître d’hôtel, dix ans plus tard, puis de directeur. J’ai développé ma propre façon de travailler, et fidélisé mes clients. Il est vrai qu’en 47 ans, j’ai donné 3 ou 4 fois ma démission, non pas que je remettais en cause l’hôtel, mais parce que j’avais simplement envie de grandir, de me faire un nom.
Qu’est-ce qui vous a motivé ?
WK : Après être passé directeur du Relais Plaza dans les années 85, ma motivation était d’abord de changer ce lieu. Sur la place parisienne, Maxim’s était très prisé, un restaurant hors catégorie ; je voyais la façon dont le service était effectué dans une ambiance divertissante. Au Relais Plaza, nous avions aussi une belle clientèle, et je voulais faire de cet endroit-là, quelque chose de plus festif, d’unique. J’ai voulu insuffler une nouvelle dynamique, notamment avec l’arrivée des 35 heures où je ne voulais pas que le restaurant coûte à l’hôtel, avec l’accord du chef Alain Ducasse. Après le snack le plus cher du monde, l’objectif était d’en faire la brasserie la plus élégante du monde. Et je souhaitais aussi miser sur l’humain, l’émotionnel – qui à mon sens, sont le plus importants. Il fallait changer la mentalité de mes collaborateurs adultes, qui exerçaient leur travail sans savoir que c’est un métier. Que c’est quelque chose que l’on apprend, et que l’on enseigne. Je les ai envoyés en formation ou à examiner des jeunes dans les écoles. Notamment à Ferrandi Paris, où nous avons pris par la suite des contrats en apprentissage. Nous étions le premier palace parisien à former des apprentis. Chaque employé était tuteur, responsable d’un jeune jusqu’à l’obtention de son diplôme.
Quel bilan sur cette proximité avec l’apprentissage ?
WK : En 30 ans, nous n’avons pas eu d’échec. La chose dont je suis le plus fier, c’est de voir réussir ceux qui sont passés par l’école Relais Plaza. Souvent, j’entends râler sur la jeunesse, je leur dis ‘Vous avez la jeunesse que vous méritez !’ Quand vous vous occupez bien du jeune collaborateur, que vous arrivez à rendre le travail intéressant, croyez-moi ils sont très contents, et il n’y a pas de place pour la lassitude !
Avec mon pianiste Sergueï Trocin, nous avons aujourd’hui 150 chansons à notre répertoire ! Ça nous a ouvert des portes incroyables, et permis de privatiser le Relais Plaza.
Vous êtes aussi connu pour chanter…
WK : Oui c’est vrai (rires). Car j’ai très vite compris qu’un restaurant a besoin de temps à autre d’une ambiance. Nous mettions en place tout ce qui était possible de fêter : le Nouvel an russe, Noel… Même des soirées spéciales (Jazz…) – qui ont donné une réputation au lieu. Ça a dynamisé le restaurant, et la clientèle a répondu présente. Mais certaines dames ont commencé à me demander de chanter… je me suis prêté au jeu, mais j’ai dû m’entrainer. C’était très difficile, je crois que j’étais en nage lors de la toute première chanson, tellement j’avais honte (rires). Mais une expérience extraordinaire. Avec mon pianiste Sergueï Trocin, nous avons aujourd’hui 150 chansons à notre répertoire ! Ça nous a ouvert des portes incroyables, et permis de privatiser le Relais Plaza. J’ai pu chanter avec Ray Charles, Rihanna, Marc Lavoine…
Votre plus beau souvenir avec un client ?
WK : Il y en a beaucoup… mais l’un de mes favoris reste d’avoir chanté avec Ray Charles. Vraiment, c’était magnifique. Je pense aussi à mes échanges avec Serge Gainsbourg jusqu’à 5 heures du matin. Mon amitié avec l’actrice et chanteuse Marlène Dietrich.
… avec un collaborateur ?
Quand j’ai lancé l’apprentissage, un jeune homme est venu me voir avec le visage noirci. Il voulait travailler au Relais Plaza car c’est un endroit qu’il appréciait. Je lui demande pourquoi il se présente ainsi. Il me répond ‘Car je livre du charbon pour aider dans un restaurant du quartier.’ La direction n’était pas favorable, mais ce jeune-là avait la niaque ! Je l’ai pris pour qu’il devienne le meilleur apprenti. Il a fait une très belle carrière, et m’a donné l’envie d’embaucher d’autres apprentis issus de quartiers non favorisés. Le plus important, c’est de sentir la volonté. Et ça, quand vous êtes recruteur, c’est quelque chose que vous devez percevoir !
Un restaurant a besoin d’être reconnu et de ressembler à celui qui le dirige !
Qu’avez-vous le plus apprécié faire en salle ?
WK : Casser des habitudes. Rehausser le service et ne pas le subir. (…) Quand j’ai démarré, on pouvait sans problème citer 10 grands directeurs de salle… mais quand le tournant avec le service à l’assiette est arrivé, j’ai dit à mon équipe ‘Nous devons défendre notre réputation, sinon on va vous mettre la tête sous l’eau.’ Ça a appauvri cette gloire des directeurs de salle, nous devions donc, au Relais Plaza, avoir une réputation, une ambiance, un service chaleureux, un personnel élégant. Un restaurant a besoin d’être reconnu et de ressembler à celui qui le dirige !
Une satisfaction professionnelle ?
WK : Oui, ça rejoint ce que je détaillais plus haut, les jeunes. Car c’est l’avenir. Celui qui travaille et qui attire le regard, aura toujours une grande valeur.
… à l’inverse, un regret ?
WK : C’est une bonne question… Finalement, le regret tourne en satisfaction. Il y a des choses que j’aurai aimé réaliser en mieux, en plus grands. (…) J’ai toujours gardé en tête cette citation d’Albert Einstein: ‘La vie, c’est comme une bicyclette, il faut avancer pour ne pas perdre l’équilibre.’
Des projets ?
WK : Je suis sur la rédaction d’un livre chez Albin Michel, à paraître à l’automne. Un ouvrage non pas du métier, mais sur la vie, dont la restauration et le Plaza ont une grande place. Je replonge dans mes souvenirs. J’écris ce livre pour laisser une trace de toutes ces années. Je m’occupe aussi d’un projet de restaurant, La Source, dans la Drôme (26), comme un grand businessman (rires). Je fais des allers-retours en train pour gérer l’équipe, conseiller. J’ai l’impression de retourner à la source…
2 commentaires
Bravo à vous !!!
Bonne, longue et heureuse retraite à Monsieur Werner.
Un être d’une extrême gentillesse, professionnel passionné, attentif, apprécié de tous et reconnaissant, grand ami des Clés d’Or.
Chanteur et bon vivant certes, mais aussi excellent joueur de tennis.!!!!
Longue vie à vous.