Dans le cadre du Festival Omnivore, ce patron déluré du Clown Bar, bistrot parisien classé aux monuments historiques non loin du Cirque d’Hiver, a reçu le prix du meilleur « hôte » 2016. S’il adopte un service au plus proche du client, Xavier Lacaud ne minimise pas sur les détails et le sens de l’accueil dans son quotidien. Rencontre avec un (chanceux) autodidacte.
Un œil en salle : Vous avez un parcours atypique, ponctué de rencontres et de hasard. Pouvez-vous nous en parler ?
Xavier Lacaud : J’ai arrêté mes études à 19 ans. Mes parents avaient un hôtel dans le Lubéron. J’ai ainsi mis le pied à l’étrier dans le milieu de la restauration. Et puis, pendant mon année de service militaire à Paris, j’étais la journée à l’armée et je bossais le soir (18h/2h) à la brasserie du Théâtre à St Germain-en-Laye pour me faire des sous. J’ai découvert le service au plat, les découpes au guéridon, la mise en place des plateaux de fruits de mer… Le hasard faisant bien les choses, on m’a proposé une mission d’été de 3 mois pour gérer le restaurant des officiers de l’institution de gestion sociale des armées (IGESA) à Pralognan-la-Vanoise (73). Je suis ensuite retourné à la brasserie du Théâtre en tant que chef de rang pour 6 mois. À 22 ans, je deviens responsable d’un bistrot Le Manège, toujours à St Germain-en-Laye. Au bout d’un an, je me vois obtenir le poste de responsable de jour à la barge Le Five à Paris. Un mois après mon arrivée, j’ai été promu responsable d’exploitation avec l’encadrement de 60 personnes ! Un sacré défi à 23 ans. Je m’occupais à la fois de l’opérationnel et de l’administratif. Après deux ans, j’ai eu le poste de directeur d’exploitation à l’Autobus Imperial, aux Halles de Paris ; avant que l’on me propose la gérance. Mais il y avait trop de charges entre le loyer les redevances, que j’ai arrêté l’aventure au bout de deux ans. J’ai ensuite géré pendant un an le restaurant de Jean-André Charial, La Chassagnette à Arles. Retour à Paris. En 2011, j’ai été responsable de salle pendant un an à Saturne, établissement tenu par Sven Chartier et Even Lemoigne ; avant de prendre le poste de directeur d’exploitation du Ô restaurant à Levallois-Perret, la plus grande barge d’Europe. J’avais 100 personnes sous mes ordres. Management difficile, faire du profit sur les produits, gestion humaine compliquée… ce type d’établissement n’était pas fait pour moi. Et puis, j’ai été rappelé en 2013 par le duo de Saturne pour ouvrir avec eux un autre bistrot. Le 28 mai 2014, nous reprenions le Clown Bar, un bistrot classé aux monuments historiques tout proche du Cirque d’Hiver (Paris, XIe). J’aime cette ambiance de comptoir, où il fait bon travailler en toute décontraction.
Si vous aviez des conseils à donner ?
Il faut avancer, bosser. Il faut aussi avoir du culot, être sûr de soi. Et il ne faut pas avoir peur de saisir une opportunité.
Qu’est-ce qui vous plaît dans votre métier ?
Le service en lui-même, d’une assiette, d’un vin ou autre, j’aime ça ! Certains clients arrivent complètement stressés ou fermés ; à nous, personnel de salle, de les détendre. J’opte pour le côté décalé, le brin d’humour. Par exemple, je peux leur dire : « Qu’est-ce qui se passe ? Vous faites la tête ? Allez, racontez-moi ce qui ne va pas… » Très souvent, ils le prennent bien. Cela porte à rire. Au Clown Bar, les gens se sentent reçus. On les aime. L’ambiance, le service et l’assiette doivent être des critères importants au même titre.
Selon vous, quelle est la place du service dans les bistrots parisiens ?
Je crois que chaque service est différent en fonction des maisons où on exerce. Et chacun peut s’épanouir différemment. Certains sont faits pour des maisons structurées, d’autres pour des établissements à taille humaine… Dans les bistrots parisiens, dont le Clown Bar fait partie, il y a une vraie histoire, un passé. Le service prend une place importante je crois, puisque que les clients viennent pour une certaine proximité au niveau du service et un accueil personnalisé.
Quel type de profil recherchez-vous ?
Le curriculum vitae m’importe peu. C’est le feeling avec la personne que je prends en considération. Il est difficile de recruter. Pourtant, le nerf de la guerre, c’est de trouver du personnel. Mes employés sont en repos deux jours consécutifs (lundi et mardi). Ils travaillent en continu 3 jours, puis en coupure les 2 jours suivants. Je m’adapte aux desiderata des gens qui bossent pour moi. C’est très important.
Comment voyez-vous votre profession ?
Quand on est intelligent et volontaire, c’est un métier que l’on peut faire aisément. La dynamique d’un service, ce n’est pas facile ; puisque cela demande un engagement physique au quotidien. Mais le bonheur de faire plaisir au client n’a pas de prix.
Qu’est-ce qui vous plait le plus ?
Je suis patron et dirige 10 personnes au Clown Bar. Pourtant, ce qui me plait le plus, c’est d’être sur le terrain. J’aime le contact. J’ai l’impression d’avoir fait mon job quand les gens nous font confiance, et se laissent guider. Côté vins, je leur dis toujours : « Je vous sers tel cru ; si ça ne vous plait pas, je vous proposerai autre chose ». Nous avons 120 références, des vins nature uniquement. Je ne suis pas un ayatollah, mais je m’ennuie avec le ‘classique’. Je n’ai pas la prétention d’être un expert du vin. J’aime goûter, et je dirige le client en fonction de mes impressions et de ce que je pense être le plus approprié pour lui.
Quel est votre meilleur souvenir en termes de service dans un restaurant ?
Au Relais Bernard Loiseau, à Saulieu (21) ! J’avais 19 ans, et ce souvenir me marque toujours. J’étais posé à l’une des 4 tables d’un salon. J’ai tendu la main vers mon paquet de cigarettes, et un membre du personnel a remarqué ce geste. D’une manière élégante et simple, il me dit : « Vous voulez fumer ? Allez-y. Voici le cendrier ». J’ai à peine eu le temps de dire quoi que ce soit que j’étais compris. Les autres clients avaient envie de fumer aussi. Bref, tout le monde était heureux…
Infos pratiques :
Clown Bar, 114 rue Amelot, 75011 Paris – Tél. 01 43 55 87 35 (fermé lundi et mardi)