Après dix ans de concours, Florent Martin, qui aime conjuguer le milieu des arts avec celui de la sommellerie, décroche sa première victoire avec le titre de Meilleur Sommelier de France2021. Après un travail axé sur le plaisir et l’émotion, il s’émancipe, et prend son premier poste de chef sommelier de l’Hôtel Peninsula à Paris (XVIe).
Florent Martin était « L’invité » du magazine Un oeil en salle N°11 rubrique « ils font la profession » (cliquez pour le recevoir ou s’abonner)
Un œil en salle : Vous êtes tombé très jeune dans le milieu de la sommellerie ?
Florent Martin : Mes parents sont boulangers, mais ce métier ne m’attirait pas spécialement. Par contre, mes tantes étaient restauratrices dans les Gorges du Verdon ; je les aidais l’été, ça a démarré à mes 12 ans, d’abord à la plonge, puis progressivement en salle. C’est le service qui me plaisait, le relationnel client, et l’adrénaline du moment. Ça me fascinait. Au moment où je me suis inscrit en BEP au lycée professionnel d’Ajaccio, je regardais des reportages à la télévision sur Éric Beaumard ou Enrico Bernardo. Je trouvais ça fou que ces professionnels arrivent à s’épanouir, à exprimer leurs émotions tout en vivant le plaisir du service. Ça m’a vraiment touché. Et en même temps, j’ai commencé à m’intéresser au monde du vin – mes parents n’étaient pas amateurs, mais on a bu une première bouteille de Saint-Émilion. Un moment agréable où j’ai compris qu’à travers le vin, je pouvais développer ma culture du goût, des arômes, des saveurs…
Entre service ou sommellerie : quelle formation avez-vous choisie ?
FM : Pendant ma formation en BEP, mon professeur m’a inscrit à des concours en salle, comme la Coupe Georges Baptiste, remportée dans la catégorie « élèves » en 2004, et le Concours général des métiers. Mais au lieu de faire mes stages en service, je les ai toujours faits en sommellerie (L’Auberge de l’Ill, Illhaeusern, Louis XV, Monaco). Idem pour mon baccalauréat professionnel. Du coup, j’ai appris le vin sur le terrain, dans les livres car j’adore bouquiner, et je n’ai pas senti le besoin de passer une mention complémentaire sommellerie.
Dans la vie active, où avez-vous débuté ?
FM : À mes 18 ans, je suis parti au Gordon Ramsay at the Claridge’s à Londres. Après un an, je suis arrivé commis sommelier au Louis XV à Monaco pendant trois ans. Un magnifique service un peu guindé, chorégraphié sur de la musique classique, avec des beaux flacons sur des millésimes murs. J’adorais servir comme ça, même si aujourd’hui, c’est moins au goût du jour. Mais j’appréciais faire partie de ce ballet, très élégant, où tu laisses place à la complicité et à l’échange avec le client. Je voulais aussi reprendre les concours… Mais c’était difficilement possible car on était axé sur le service et les 3 étoiles. Un jour, mon chef sommelier Noël Bajor me dit que le Four Seasons George V à Paris recherche du monde. Bingo ! J’adorerais travailler avec Éric Beaumard, que j’avais en tête lors des reportages – c’est ça qui m’avait fait rêver dans le métier…
Vous y êtes resté plus de 10 ans…
FM : Je suis arrivé au George V en 2009. Je tombe sur Thierry Hamon, bras droit d’Éric Beaumard, qui a une sensibilité du vin, une démarche presque artistique, culturelle, très en phase avec le théâtre, la peinture, les arts… Il est très complémentaire à Éric Beaumard, qui lui a une sensibilité sur la technique, les concours, les voyages dans le vignoble. Je me suis nourri de tout ça comme une éponge pendant 11 ans… pour faire les concours, mais aussi pour cette philosophie autour du vin, et de la cuisine avec les chefs Éric Briffard et Christian Le Squer (dès 2014).
Vous en avez aussi profité pour reprendre les concours ?
FM : Oui, en 2010, j’étais en finale du Meilleur Sommelier de France (MSF), puis j’ai enchainé l’année suivante avec le Meilleur Jeune Sommelier de France (MJSF). D’année en année, j’ai continué à faire des concours, dont 6 finales (quatre pour le MSF et deux pour le MOF). Mes objectifs étaient de me remettre en question, continuer à apprendre, développer une culture pointue tout en ayant un discours accessible, axé sur le plaisir, l’émotion.
Avez-vous évolué professionnellement ou humainement grâce aux compétitions ?
FM : Oui. Je me souviens de ma finale à Toulouse en 2016. J’étais très technicien, voire calculateur en fonction des candidats. Au fil du temps, je suis arrivé avec plus de plaisir, d’émotion ; j’ai réussi à m’émanciper, être moi-même… Dans ce sens, le confinement en 2020 a permis de lancer, avec ma femme Alexia, notre société Vinefloria autour de la création de condiments, d’assiettes. Le fil conducteur : le verre au centre de l’assiette. À partir du moment où le vin évolue quand on le goûte, ce n’est jamais figé entre la première et dernière gorgée. Tous ces différents paramètres m’ont aidé à me libérer… ce qui m’a certainement permis de décrocher le titre de Meilleur Sommelier de Franceen 2021.
Pourquoi vous êtes-vous rapproché de la sommellerie ?
FM : Le service, c’est très épanouissement à partir du moment où tu peux faire de l’animation en salle. Quand j’ai démarré, le service à l’assiette prenait, hélas, une grande place… Et je me suis posé la question : « Qu’est-ce qu’on peut faire de différent en salle sur le long terme ? »À l’époque, je me suis fait cette remarque : le sommelier a la possibilité de pouvoir créer une complicité avec le chef, développer une forme de créativité au quotidien à travers la sélection des vins, les accords, etc. Pour moi, ça me donnait plus de place à l’originalité, au changement. C’est ça qui m’a amené à la sommellerie. Tu mets en avant ta personnalité en fonction de la cuisine du chef.
Un conseil pour un jeune ?
FM : Choisir l’axe qui va lui permettre de s’épanouir et de trouver sa passion. C’est le moteur ! Car on grandit toujours, on subit moins la difficulté, et automatiquement, on n’est plus performant ! Je pense aussi qu’il faut mêler la tradition à la créativité ; nos métiers sont ancrés dans des savoir-faire et des traditions français, il faut l’intégrer, mais envisager de l’adapter à sa personnalité en apportant sa touche !
Sa bio en dates :
- 1987 : naissance à Paris
- 2002-2005 : BEP, puis baccalauréat professionnel au lycée professionnel d’Ajaccio
- 2004 - 2005 : lauréat de la Coupe Georges Baptiste national catégorie « élèves », puis lauréat Europe
- 2005 – 2006 : stages en sommellerie (L’Auberge de l’Ill à Illhaeusern ; Grand Hôtel de Cala Rossa ; Le Louis XV à Monaco)
- 2006 :
lauréat du Concours Général des Métiers
commis sommelier au restaurant Le Bar à Boeuf and Co à Monaco
- 2006 - 2007 : sommelier au restaurant gordon Ramsay at The Claridge's à Londres
- 2007 - 2009 : premier commis sommelier au Louis XV à Monaco
- 2009 : sommelier au restaurant Le Bar et Bœuf à Monaco
- 2009 – 2021 : commis sommelier, sommelier, second sommelier, premier sommelier au Cinq du Four Seasons Hotel George V à Paris
- 2021 :
co-gérant de la société Vinefloria
lauréat au Meilleur Sommelier de France