Ce maestro du guéridon est viralement connu pour ses vidéos de découpes ou de flambages. Espagnol d’origine, français de cœur et suisse d’adoption, Esteban Valle est aussi trilingue et fou passionné de plus de 10 000 livres anciens de gastronomie. Rencontre avec un professionnel empli d’humilité.
Un œil en salle : À en voir votre dextérité pour les techniques de salle, on pourrait croire que vous avez toujours eu cela en vous…
Esteban Valle : Oui et non (rires). Tout s’acquiert avec le temps. Je suis né à Malaga pendant les vacances d’été, et nous sommes repartis vivre à Marseille (13) jusqu’à l’âge de mes 8 ans. Puis, ma mère a décidé de retourner à Malaga pour ouvrir son premier bar-restaurant en France. Je l’aidais derrière le bar, je servais des limonades avec mon short et ma caquette de marin… Et puis j’ai eu la chance de côtoyer son maître d’hôtel, Miguel, un homme passionnant qui m’a permis de réaliser ma première découpe à mes 9 ans ! Je m’en souviens comme si c’était hier, c’était une daurade !
Vous avez beaucoup voyagé ; est-ce une force dans le métier ?
E.V : Effectivement, avec du recul, je trouve que c’est une force. On a une certaine ouverture d’esprit et peut-être une autre manière de travailler. Mais je dois dire que cela a surtout été des opportunités. Comme je le disais, je suis né en Espagne, j’ai fait toute mon enfance en France avant de partir étudié en Angleterre – où j’ai rencontré ma femme Lydie. Elle a été mutée à Genève, en Suisse ; je l’ai suivi et j’ai été embauché au Domaine de Châteauvieux, qui se situe à la frontière, en 1995.
Vous êtes trilingue ?
EV : Oui, je parle français, anglais et espagnol.
Vous sentez-vous un peu des trois nationalités à la fois ?
EV : Complètement ! Je suis espagnol d’origine, français de cœur et suisse d’adoption. Je voue une grande admiration pour la France, car j’y ai grandi ; d’ailleurs, je suis en passe de faire ma demande de nationalité… Et puis je n’oublie par l’Espagne et la Suisse où je fais partie d’associations dédiées aux maîtres d’hôtel, respectivement Asociacion de Maitres y Profesionales de Sala de Aragon et l’ASMH.
Depuis 22 ans, vous êtes donc au Domaine de Châteauvieux. Qu’est-ce qui vous plaît au quotidien ?
EV : Depuis que j’y suis, l’établissement est doublement étoilé, membre des Grandes tables du monde et Relais&Chateaux, et tenu par le chef-propriétaire Philippe Chevrier. J’ai avant tout aimé sa personnalité et son état d’esprit. Je pense qu’il m’a embauché plus par l’expérience que par mon curriculum vitae. J’aime le terrain, le contact humain. Pas l’administratif. Je n’ai pas fait ce métier pour être derrière un bureau. Si j’ai gravi les échelons de commis de salle pour être aujourd’hui directeur de salle (depuis 18 ans), je participe toujours aux services. Je prends toutes les commandes. Et notre clientèle adhère : 80% d’habitués, à majorité des locaux. Je pars du principe que nous devons montrer l’exemple à nos équipes pour être écouté ! Donner un coup de main et éviter de déléguer.
Qu’est ce qui a évolué en termes de service ?
EV : La capacité d’accueil est passée de 80 à 45 places assises pour un meilleur confort des clients et plus d’attentions. L’équipe a aussi diminué de 15 à 11 personnes. Je peux m’appuyer sur mon fidèle assistant Laurent Noël, et le chef sommelier Loïc Tavernier. Et puis, nous faisons aussi davantage de techniques de salle…
Justement, ce qui frappe en salle, c’est que chaque table a le droit à son flambage et/ou à sa découpe… Comment gérez-vous cela ?
EV : Nous travaillons en binôme à table (l’un fait la technique, l’autre s’occupe de la garniture et du dressage) afin de gagner en rapidité, et que le client mange chaud. À force d’exercice, cela ne nous prend que quelques minutes à table… Mais le convive en prend plein les yeux. Et il adore ! Nous faisons tous les poissons, les viandes, l’ouverture du porto au feu, le sabrage d’un Champagne, et même le service du café de différentes manières (à la cona, irlandais, macchiato…). Je suis aussi intarissable sur les fruits en association avec un alcool : pastèque/sangria, melon/menthe/sauternes, ananas/rhum/poivre de Tasmani…). Rien ne nous arrête. En salle, les techniques laissent une opportunité d’expression incroyable.
Le chef vous laisse une grande liberté…
EV : Oui, j’ai cette chance… Il aime les techniques de salle. Mais attention, faire du spectacle, c’est bien, mais le goût reste primordial. Nous travaillons pour émerveiller les papilles du client.
Comment voyez-vous le service d’aujourd ’hui ?
E.V : Je crois qu’il est bien, dans une salle de restaurant quelle qu’elle soit, de mettre en place un protocole et d’établir une hiérarchie. Mais les règles ne doivent pas être là pour déranger le service. Si la règle veut que tu serves à droite, et que le client discute, alors tu ne le déranges pas et sers à gauche. Rien n’est figé. Il ne doit pas y avoir d’automatisme.
Que pensez-vous de la carte sans prix pour les femmes au restaurant ?
EV : Les mœurs ont changé. Les femmes invitent de plus en plus au restaurant. Nous donnons les cartes sans prix sur demande, aux personnes qui sont invitées, et aux hommes s’il le faut. Mais jamais instinctivement.
Dans votre quête de transmission, vous faites aussi, en parallèle de votre travail, des vidéos avec le photographe Daniele D’Angelo. Pourquoi ? Et quel rapport entretenez-vous ?
EV : Depuis 2015, je travaille avec Daniele D’Angelo qui est devenu un ami. On se comprend parfaitement. Il m’aide à sublimer artistiquement mon travail de salle. Il a une vision autre que la mienne. Nos vidéos sont accessibles sur notre page Facebook Headwaiter et sur le site du Domaine de Châteauvieux. Je le fais avant tout pour mettre en avant le travail de salle, et pour faire connaître mon établissement. Le chef Philippe Chevrier nous donne cette opportunité.
Sa bio, en dates :
- 20 juillet 1968 : Naissance à Malaga (Espagne)
- 1988 : Obtention du diplôme Jefe de Comedor, CCC San Sebastian par correspondance
- 1990 : Ecole hôtelière Lewisham College (Londres), Advanced Food and Beverage Service / Chef de rang à la Terrasse Garden (brasserie de luxe) au Meridien Piccadilly
- 1991 : Chef de rang au Oak Room* au Meridien Piccadilly
- 1994 : Chef de rang chez Nico*** au Park Lane Londres
- 1995/1996/2000 : commis de salle, chef de rang, directeur de salle au Domaine de Châteauvieux à Châteauvieux (Suisse)
- 2010 : Associé au chef Philippe Chevrier avec Damien Coche au Domaine de Châteauvieux
- 2014 : Sortie de son premier ouvrage « Flambons, découpons, c’est servi ! » aux éditions Slatkine
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Infos pratiques :
Domaine de Châteauvieux, Chemin de Châteauvieux, Peney-Dessus 16, 1242 Satigny, Suisse – www.chateauvieux.ch