En août, l’établissement Crom’Exquis du chef Pierre Meneau, qui vise l’étoile Michelin, entreprendra des travaux. En ligne de mire : la refonte de certains éléments de service. L’occasion de rencontrer la directrice de salle, Estelle Thomas. Cette trentenaire autodidacte, qui n’a pas sa langue dans la poche, nous livre sa vision des métiers de la salle.
Vous vous êtes éprise des métiers de la salle, alors que rien ne vous destinait à y faire carrière. Pourquoi ?
J’ai fait un BTS tourisme, et souhaitais travailler en réception. À la sortie de l’école, j’ai été embauchée en qualité de réceptionniste au Château de Ligny à Ligny en Cambrésis (59) pendant trois ans, avant de poursuivre à L’Espérance à St Père (89). Dans ce Relais & Châteaux, où je suis restée quatre ans, j’ai eu la chance de monter les échelons jusqu’au poste de 1ère réceptionniste. Le chef Marc Meneau m’a ensuite proposé d’être son assistante. J’ai commencé aussi à découvrir l’univers du service. Ce fut le déclic. J’aime cette approche client, l’échange et le partage. Et puis, à la suite de cette belle expérience, j’ai voulu me rapprocher de Calais, d’où je suis originaire. J’ai donc poursuivi en chef de réception à La Grenouillère aux côtés du chef Alexandre Gauthier et du directeur de salle Pascal Garnier, établissement que je connaissais du papa d’Alexandre. Je suis passée assistante de direction, et je lançais le début de service avec les apéritifs. Là aussi, j’ai donc « touché » au service. Le service est atypique et ce fut une véritable école de la vie.
Vous avez travaillé à la Grenouillère et à L’Espérance, « 2 entités opposées » selon vos termes. Pouvez-nous en parler plus en détails ?
La Grenouillère, établissement deux étoiles Michelin, est une ancienne usine à houblon : pas de nappes, tables et chaises en cuir. Il n’y a pas de changements de couverts. Le menu est dépouillé de tout support ; il s’agit d’une feuille chiffonnée posée dans l’assiette du client. Tout est pensé de A à Z, ce qui est assez fort. Un service décalé en somme. Mais nous n’apprenons pas cela à l’école hôtelière. Quant à mon expérience à L’Espérance de 2007 à 2011 (deux étoiles Michelin), le service était beaucoup plus protocolaire. Il y a aussi une vraie hiérarchie des équipes. J’aurai cru que cela serait plus facile de passer d’un Relais & Châteaux à un établissement comme la Grenouillère. Or, c’est l’inverse. Quand nous sommes « formatés », c’est plus difficile de retrouver son naturel.
Vous êtes aujourd’hui directrice de salle au Crom’Exquis…
Je suis toujours restée en très bon terme avec Marc Meneau. Lorsque que son fils Pierre a décidé d’ouvrir son établissement Crom’Exquis à Paris, il m’a recontactée. Après La Grenouillère, je travaillais alors au Kitchen Studio à Boulogne-Billancourt (92), mais je ne m’y sentais pas à mon aise. J’ai accepté de faire l’ouverture Cromesquis, et devais assister le chef. Au bout d’un an, il fallait se restructurer et je suis passée directrice de salle. Nous sommes 3 personnes – dont le chef de rang Éric Broga (Terroir Parisien) et la sommelière Gwenaelle Du Guerny (Garance, Le Bistrot du Sommelier avec Philippe Faure-Brac) – pour 40 couverts. Chacun est polyvalent. Il le faut. Nous pouvons aussi bien servir le vin que prendre une commande. Au-delà de mon poste de directrice de salle, je gère aussi le marketing, la communication et la gestion du planning du chef. Rien n’est figé ou hiérarchisé, et c’est ce que j’aime.
Est-ce un regret de ne pas avoir fait d’école hôtelière ?
Non. À part ne pas savoir réaliser de techniques, je ne regrette rien. Cela ne me dessert pas au quotidien. Ma sœur est allée à l’école hôtelière, or elle se rend compte elle-même qu’on ne lui a pas appris le « feeling ». Comme au théâtre ou au cinéma, aller au restaurant est un divertissement. On doit être le plus naturel possible, à mon sens. C’est véritablement sur le terrain que j’ai appris le métier.
Quelle est votre philosophie en salle ?
Il ne faut pas négliger les bases et les protocoles. Le service, ce n’est pas juste poser une assiette et annoncer le plat. Nous devons raconter une histoire au client. Exemple : le cromesquis est la spécialité du restaurant Pierre Meneau. L’équipe me demande comment l’expliquer en salle ? Je leur dis ‘Goutez et expliquez avec vos mots, à votre façon. Vous devez vous approprier l’argumentaire !’
Si vous deviez parler de votre métier aux jeunes, que leur diriez-vous ?
Nous vivons ce métier au quotidien, sans limites, et nous le vivons chaque jour parce que nous aimons la cuisine et le partage. En 2016, il est temps de faire évoluer les mentalités sur ces postes de serveurs et de maîtres d’hôtel, et de faire comprendre aux jeunes que c’est un investissement quotidien qui demande beaucoup de rigueur, certes, mais aussi beaucoup de discernement et d’intelligence. Ce métier est beaucoup plus qu’un poste de porteur d’assiettes ou de récitations de plats. Nous devons raconter une histoire, transmettre notre envie aux autres, partager un savoir faire. J’ai commencé la restauration il y a dix ans, aujourd’hui je continue encore à découvrir mon métier. Après avoir travaillé auprès d’Alexandre Gauthier ou de Marc Meneau, où l’on parle de deux services différents comme cités ci-dessus, je sais qu’il est possible d’approfondir le service en salle et de se poser les bonnes questions.
Et la tenue vestimentaire ?
Il n’y a pas de code vestimentaire imposé. Les filles sont en jupe (formatage Marc Meneau, rires). Nous avons un haut à nous (chemisier ou autre). À la Grenouillère, par exemple, le personnel de salle est en bretelle et nœud papillon. C’est très élégant. Je ne pense pas qu’on mange mieux avec une personne en costume/cravate.
Vous êtes très impliquée dans l’évolution de Crom’Exquis. Quels sont les projets 2016 ?
Cromesquis a été pensé comme un bistrot gourmand. Nous aimerions décrocher une étoile. Nous y travaillons. Des travaux sont engagés en août. La salle va être modernisée (suppression du bois pour épurer le restaurant). Avant, les clients mangeaient midi et soir sur des sets de table (Tickets moyens : respectivement 70 et 120 €). Depuis un an, nous mettons des nappes pour les deux services. Nous mettons dorénavant des amuses bouches le midi. Nous ne voulons pas que le service au déjeuner ou au diner soient différents. Nous sommes aussi en réflexion sur le service du pain, qui était pour l’heure en corbeille sur table. Faut-il mettre l’assiette à pain ou non ? Nous aimerions faire un service au panier avec deux pains différents. C’est en discussion. Le service évolue tous les jours.
L’avis du chef Pierre Meneau sur le service en salle :
« À mon sens, le service doit revenir au centre du restaurant. C’est très important. Je pense que cela passe par des découpes, que nous faisons essentiellement à Crom’Exquis (des pièces entières : épaule d’agneau, sole…). Quand il y a de beaux produits, autant les mettre en avant à travers le service. Il ne faut pas tomber dans l’excès comme cela se fait parfois dans les grands établissements. Il faut être présent pour le client sans que cela ne se ressente. » |
Bio en dates d’Estelle Thomas :
- 1983 : Naissance à Calais (62)
- 2001 : Baccalauréat Economique et social au lycée Paul Duez, Cambrai (59)
- 2003 : BTS Animation et gestion touristique au lycée Fénelon, Cambrai (59)
- 2004 à 2007 : Réceptionniste au Château de Ligny – Chef Gérard Fillaire, Ligny en Cambrésis (59)
- 2007 à janvier 2011 : Réceptionniste / 1ère de réception / Seconde assistante du chef à L’Espérance – Chef Marc Meneau, St Père (89)
- Mars 2011 à septembre 2012 : responsable de réception / assistante de direction à La Grenouillère – Chef Alexandre Gauthier, La Madelaine (62)
- Octobre 2012 à mai 2014 : responsable front à Kitchen Studio, Boulogne Billancourt (92)
- Avril 2014 : Directrice de salle à Crom’Exquis – Chef Pierre Meneau, Paris (75)