Depuis 13 ans, ce Camarguais à l’accent chantant s’épanouit au sein du majestueux Domaine de Baumanière, où se niche le deux étoiles l’Oustau de Baumanière. Laurent Soustelle forme un duo fusionnel avec le chef Glenn Viel, arrivé en 2015 au moment où il a été promu directeur de salle. Chaque nouveau plat est propice à la réflexion tant dans le contenant, le contenu et le discours client. Entretien avec un professionnel discret.
Un œil en salle : Comment est née votre vocation ?
Laurent Soustelle : Très tôt ! À 14 ans, j’adorais observer mon oncle qui était dans le métier. Quand il y avait des communions ou autres événements, je me trouvais toujours derrière le bar. Ça me plaisait vraiment. Après un CAP/BEP et un baccalauréat professionnel au lycée Emile Peytavin à Mende (48), puis une mention complémentaire sommellerie à Nîmes (30), je me suis fait la main dans plusieurs restaurants à Aigues-Mortes (30) – d’où je suis originaire. Mon objectif était d’intégrer un restaurant gastronomique, si possible 3 étoiles ! Un ami restaurateur recevait régulièrement François Pipala (Auberge du Pont de Collonges, Collonges) ; il me dit ‘Un soir où il sera là, je t’appellerai pour que tu te présentes‘. Aussitôt dit, aussitôt fait. On échange avec Monsieur Pipala, on sympathise, puis il me donne sa carte pour convenir d’un entretien. Mais j’avais l’armée à faire obligatoirement. À mon retour, je le recontacte en espérant qu’il se souvienne de moi 18 mois plus tard… Et il n’avait effectivement pas oublié. On voit là, le grand professionnel !
Cette rencontre vous a-t-elle marquée ?
LS : Bien sûr, elle a même tout changée. J’ai obtenu mon entretien pour un poste de commis de salle, et non de sommellerie. François Pipala me recrute lorsque j’ai 21 ans : une place chez Bocuse, ça ne se refuse pas ! J’y suis resté dix ans, passant de chef des commis à demi-chef de rang, puis chef de rang.
Après 10 ans à Lyon, l’appel du Sud vous manquait ?
LS : Je ne suis pas parti de chez Bocuse parce que je ne m’y sentais plus bien. Mais j’avais envie d’évoluer professionnellement, et les choses de la vie – comme la naissance de ma fille – nous ont conduit à revenir dans le Sud. J’ai eu l’opportunité d’être maître d’hôtel chez Alexandre à Nîmes (30), juste avant l’obtention de la deuxième étoile Michelin. Un très bel établissement, mais je suis passé de la maison Bocuse, 3 étoiles et structurée, à une maison une étoile et moins hiérarchisée. Ce n’est pas du tout péjoratif, mais je n’arrivais pas à trouver mes marques.
On dit souvent que le hasard de la vie fait bien les choses…
LS : C’est plutôt drôle, oui, car à ce même moment de réflexion, mon ami d’enfance, qui savait que j’étais de retour, me parle d’un nouveau chef à l’Oustau de Baumanière aux Baux-de-Provence (13) : ‘c’est Sylvestre Wahid, l’ami du mari de (ma) sœur.’ De ce contact, je rencontre le propriétaire Jean-André Charial, en recherche d’un maître d’hôtel, qui me recrute et me place aux côtés de Sergio Méloni, directeur de salle de Baumanière, qui sera mon second mentor. J’ai travaillé 5 ans avec lui.
Vous parlez de 2 mentors dans votre carrière : que vous ont-ils respectivement appris ?
LS : François Pipala, il m’a appris l’humilité du métier, et la partie technique aussi. Après 30 ans chez Bocuse, s’il est toujours en place, c’est qu’il y a une raison. Dans un autre esprit, Serge Méloni, autodidacte qui a voué sa carrière entière à Baumanière, hélas décédé d’un cancer, m’a inspiré sur son relationnel et bien d’autres choses. Quand vous rencontrez des personnes comme ça dans votre métier, c’est super. Il y a un peu de soi-même aussi, de son investissement personnel qui commence à payer. Les personnes qui nous entourent comptent ; c’est un ensemble, dont les équipes qui apportent beaucoup.
Depuis quand êtes-vous à l’Oustau de Baumanière ? Qu’avez-vous fait évoluer en salle, à votre image ?
LS : J’entame ma 13ème année à Baumanière, dont 4 en tant que directeur de salle. J’ai apporté des petits détails qui ne sont pas forcément visibles, mais aussi par la connivence avec le chef Glenn Viel, arrivé en 2015. Très important. On peut avoir la capacité de vouloir faire faire quelque chose, mais si on n’arrive pas à le retranscrire à des gens qui sont avec nous ; alors ce n’est pas la peine.
Est-ce l’esprit de « famille » qui vous plaît dans cette maison ?
LS : Effectivement, Baumanière a une âme véhiculée par les propriétaires, Mme et Mr Charial. Le plus dur, c’est de rentrer dans le « moule », de véhiculer la philosophie du lieu : le côté famille. Il y a beaucoup d’habitués. Nous sommes encore « à l’ancienne » ; je présente chaque nouvelle personne de l’équipe. Je n’ai fait que des maisons traditionnelles, parce que j’aime cet esprit-là ! Je pense que je pourrai faire le travail dans une maison différente, mais cela ne me plairait pas.
Vous avez créé un poste de chef des commis à Baumanière, suite à votre expérience chez Bocuse. C’est peu banal ?
LS : C’est un poste que j’ai retranscrit ici. C’est une bonne école. Si un commis fait plus que ce qu’il devrait faire, il faut le récompenser ! Il n’y a pas de raison. Et puis, cette personne (demi-chef de rang) soulage aussi les équipes, et endosse un rôle où elle se sent concernée. Petit à petit, on la passe chef de rang ; c’est une transition. Je me sers beaucoup du « modèle » Bocuse – que j’adapte forcément à la maison. Ça donne des bases saines, ça appelle également au respect et à l’humilité.
Une équipe fonctionne quand on mixe les générations.
Quelle philosophie insufflez-vous à votre équipe ?
LS : Je leur dis tous les jours : ‘Faites-vous plaisir !’ S’ils se font plaisir, alors le client se fera plaisir. En pleine saison (période estivale), nous sommes 22 personnes en salle et sommellerie, dont 10 en CDI le reste de l’année. Mais la capacité d’accueil est différente : 60 couverts l’hiver, 75 l’été. Je veux vraiment mettre l’accent sur le travail d’équipe. Sans eux, je ne serai pas là à vous parler. Chacun apporte sa pierre à l’édifice, à commencer par les commis. Ce n’est pas facile d’être un assistant – il fait autant de travail mais n’est pas forcément dans la lumière. Juan et Rémi me soulagent beaucoup. La transmission, c’est nous, mais c’est eux aussi. On peut être un très bon maître d’hôtel, sans l’osmose de son équipe, nous ne sommes pas grand-chose ! Il y a aussi des fidèles comme Philippe Mahieu (30 ans de maison ou Jennifer Tosello (12 ans). Le chef sommelier Alain Gousse a succédé à Gilles Ozzello (40 ans de maison). Une équipe fonctionne quand on mixe les générations.
Est-ce compliqué d’être un restaurant deux étoiles saisonnier ?
LS : Si ça l’est. Ça met du piment. Le travail effectué en amont, l’hiver, sur les fiches techniques permet d’avoir une ossature hivernale pour former les futurs collaborateurs. Entre autres. Ceux que l’on embauche sont des professionnels. Il suffit de prodiguer l’état d’esprit du restaurant.
La salle participe au service et ça plaît beaucoup aux clients !
Des techniques de salle ?
LS : On perdure les techniques : Saint-Pierre, gigot d’agneau, volaille en vessie… D’ailleurs, avec le chef, on a reconstitué une cage à poule avec son nid et l’œuf ; qui sert de support de transport pour présenter la volaille à table. La salle participe au service et ça plaît beaucoup aux clients !
Vous êtes très pointilleux sur l’énoncé des plats…
Comme je le disais, les fiches techniques sont données à l’équipe : photo du plat, argumentaire, accords vins, etc. Ils ont une base pour avoir un même discours. C’est très important. Je les entraine quotidiennement, en briefing, sur le phrasé, la diction.
Vous attachez une importance aux enfants. Pouvez-vous en parler ?
LS : On essaye de ne rien refuser. On lui donne un menu spécifique avec des fautes volontaires pour l’intéresser, le titiller. Ils peuvent aller voir les cochons ou les chats, on les accompagne aussi en cuisine avec une toque. Et puis, il y aussi des attentions qui changent chaque année, par exemple un tee-shirt à personnaliser avec des feutres. Certains enfants nous l’offrent à leur départ, ce qui est touchant. On essaye de les occuper pour que les parents prennent le temps de manger et du plaisir. L’enfant est considéré comme un vrai client. Il est potentiellement un futur hôte, un futur cuisinier ou maître d’hôtel…
Transmettez-vous aussi à l’extérieur ?
LS : Autant que je le peux, j’essaye d’aller dans les lycées hôteliers de la région, comme Marseille. J’y suis sensible. On travaille déjà avec plein d’écoles de France entière. On suit nos stagiaires, des éléments qui peuvent revenir suite à leur expérience. Qu’ils reviennent ou non, l’important c’est d’avoir participé à leur parcours.
Sa bio en dates :
- 1975 : Naissance à Aigues-Mortes (30)
- 1992-1994 : BEP, CAP, Baccalauréat professionnel Emile Peytavin à Mende (48)
- 1994 : Mention complémentaire sommellerie au lycée hôtelier de Nîmes (30)
- 1995 : Service militaire
- 1996-2008 : Demi-chef de rang, chef des commis, chef de rang chez Paul Bocuse à Collonges-au-Mont d’Or (69)
- 2005 : Directeur de salle chez Alexandre – Michel Kayser à Garons (30)
- 2006, puis 2015 : Maître d’hôtel, puis directeur de salle à l’Oustau de Baumanière à Les Baux-de-Provence (13)
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Paru dans le Magazine Un oeil en salle N°6 // L’Oustau de Baumanière : quand les arts de la table participent à l’expérience culinaire !
Infos pratiques :
Domaine de Baumanière, Oustau de Baumanière, D27, Mas de Baumanière, 13520 Les Baux-de-Provence – www.baumaniere.com
2 commentaires
Un professionnel de grande qualité , attentif discret et efficace , un grand Monsieur .
Fier de toi mon ami
Improbable et à la fois tellement mérité
❤️