En prenant un peu de hauteur et en observant les signaux faibles émergents derrière le brouhaha ambiant du Covid-19, on décèle des évolutions qui peuvent inciter à l’espoir pour la suite. L’architecte d’intérieur Michael Malapert réinvente nos espaces de vie, en particulier ceux de l’hôtellerie-restauration.
« On constate que la crise a obligé l’ensemble de la société à trouver des solutions pour dépasser les blocages engendrés par l’arrivée de la Covid-19 : restriction des déplacements, couvre-feu, jauge de capacité, isolement, fermeture au public. La période a fait évoluer les comportements dans le secteur de l’hôtellerie–restauration. Les restaurateurs ont cherché des solutions pour continuer à exercer leur activité. La crise a engendré une réaction inédite : des chefs étoilés ont décidé de livrer à domicile leur menu ou de mettre en place un service de click & collect. La profession s’est organisée pour continuer à satisfaire leur clientèle, ils se sont inscrits dans une logique de digitalisation de l’expérience client, et ont finalement proposé de nouvelles façons de faire de la restauration. La digitalisation de la restauration était jusqu’alors surtout réservée aux services de restauration rapide, qui exploitent de moins en moins un espace dédié à l’accueil de leur clientèle. Aujourd’hui c’est la restauration gastronomique qui suit cette tendance.
Les hôteliers ont, quant à eux, proposé à leurs clients de venir se confiner ou de passer des couvre-feux dans l’enceinte de l’hôtel, remettant au goût du jour une ambiance de prohibition. Ils ont aussi essayé de mettre à profit leurs espaces en invitant les gens à venir travailler chez eux. Ils ont étendu leur métier de base qui est de vendre des nuits à une infinité de services annexes. Les bureaux et les habitats domestiques ont aussi été chamboulés durant cette période. D’abord le développement du télétravail dû aux différents confinements a transformé les habitations en bureaux temporaires. En milieu urbain cela pose des problèmes évidents de manque d’espace puisqu’il n’existe pas forcément une pièce en plus disponible. Il faut donc jongler avec un bureau ponctuel ou mobile chez soi. Cela a poussé toute une partie de la population urbaine à se réfugier à la campagne pour rendre plus supportable cet isolement. Une situation inédite à l’opposé du mouvement d’exode rural, devenu la norme depuis de nombreuses années. Les espaces de bureaux se sont retrouvés vides, les salles de réunion se sont transformées en espaces virtuels sur Zoom ou Teams.
Cette crise nous oblige à mettre plus de créativité dans nos vies pour dépasser la sidération de l’arrivée de ce virus. Elle va sans aucun doute précipiter des transitions déjà en œuvre dans la société. L’hôtellerie avait déjà initié un changement en devenant petit à petit un lieu de vie qui intégrait des services annexes comme un restaurant, un bar, une boutique ou un spa… Elle se transforme en complétant son offre par toutes sortes de services : coworking, salle de sport, cinéma… dont la chambre n’est plus qu’une option parmi d’autres. L’hôtel s’intègre ainsi au tissu urbain en mutualisant ses services et devient un lieu de destination aussi bien pour les locaux que pour les touristes. La notion d’hôtel migre vers un lieu de vie global où l’on peut se reposer, se détendre, manger, boire, travailler, dormir… tout cela à tous moments de la journée ou de la nuit.
Désinfecter un hôtel c’est nettoyer de fond en comble un immeuble entier quasiment tous les jours. Les hôteliers vont donc se diriger, dans un monde post covid, vers des matériaux antibactériens ou faciles à nettoyer. Ils vont aussi privilégier une dématérialisation des process : check in, check out et accès à la chambre directement depuis le mobile. On peut imaginer aussi une application à télécharger pour accéder aux services proposés par l’hôtel, commander un repas ou réserver un soin. Enfin des flux séparés doivent être créés entre les clients de l’hôtel et les clients extérieurs pour pouvoir les isoler si besoin. Notre dernier projet, l’hôtel ChouChou est un lieu intégrant des salles de réunion, des bassins à louer à l’heure, des chambres, une cabine photo, un bar, des foodstands, une scène pour des spectacles. Un lieu où l’on peut se détendre, travailler, manger et profiter de plusieurs activités divertissantes.
Des flux séparés ont été créés entre les parties « lieu de vie » et « hôtelier », permettant à chacun d’avoir son espace dédié. Tous les espaces sont connectés entre eux par des cloisons mobiles et vitrées, mais au besoin tout se referme et s’isole. L’accueil est mobile et le check in se fait depuis un ipad. La restauration va continuer sa digitalisation et chaque lieu devient une potentielle plateforme pour de la consommation sur place, à emporter ou en livraison. Les restaurants deviennent ainsi des hubs qui peuvent produire de la nourriture pour tous types de clientèles. Il y aura donc dans les restaurants des notions de flux à étudier afin de dissocier un lieu d’expérience pour les gens venus consommer sur place, d’un espace dédié à l’envoi de plats qui partent en livraison. L’idée serait de replacer la cuisine en façade pour envoyer ses commandes aussi bien en salle que dans la rue.
Toujours dans une tendance de digitalisation du restaurant on peut imaginer des applications ou un site internet avec la possibilité de commander, réserver sa table, avoir les recettes du chef, la playlist de la salle ou encore la possibilité de suivre la cuisine en live. Toutes ces fonctionnalités permettent de vivre l’expérience du restaurant sans se déplacer. Le chef pâtissier Cédric Grolet pour qui nous avons réalisé l’architecture d’intérieur de sa boulangerie-pâtisserie au 35 avenue de l’Opéra à Paris, a intégré un service de click and collect et de livraison lors du confinement. L’expérience de la création des pâtisseries peut se faire directement depuis la rue, puisqu’un comptoir de préparation se trouve dans la façade vitrée du lieu. Le chef Julien Duboué pour qui nous avons réalisé le restaurant Boulom a envoyé des plats pour le personnel soignant lors du premier confinement, puis a proposé la livraison des plats de sa carte lors du deuxième. Il complétait cette offre par des recettes en live sur Instagram.
Dans les bureaux, le développement du télétravail va faire évoluer les espaces. Il y aura moins d’espaces de travail individuel, mais beaucoup plus de lieux d’échange et de communication, qui favorisent l’interaction et la créativité. Des lieux qui incarnent l’identité de l’entreprise et ses enjeux managériaux. Des lieux de vie ouverts et flexibles, aux typologies d’aménagements variées. Les entreprises doivent proposer une expérience en lien avec leur identité. Nous développons en ce moment différents types d’espaces pour Station F, l’incubateur de Start Up de Xavier Niel à Paris. Ces espaces sont mobiles, permettent de faire une réunion, une projection, de travailler. Les lieux sont chaleureux, colorés et intègrent de la végétation. Les salariés profitent d’un nouveau type de bureaux sans poste fixe, mais avec une multitude d’espaces disponibles suivant le programme de la journée.
Dans l’habitat on peut imaginer aisément les designers et fabricants de mobilier plancher sur des bureaux domestiques mobiles, une sorte de bureau / valise, intégrant une séparation qui permette de se créer un espace de travail dans un appartement ou une maison. On peut aussi réfléchir à intégrer dans un mobilier classique d’intérieur comme une armoire ou un canapé, un bureau caché qui permet de donner une place à cette fonction dans un environnement domestique. Philippe Starck avait par exemple créé chez Cassina un canapé intégrant un espace de bureauPour conclure, cette crise nous pousse dans nos retranchements et nous oblige à aller chercher des solutions inédites. Elle oblige à la créativité mais aussi à revoir et à questionner nos actions et projets. Cette remise en question peut être une opportunité de faire évoluer nos pratiques. En réfléchissant à mettre dans nos projets plus d’intelligence, plus de sens, plus de temps, plus de vie, plus de matériaux naturels, plus de local, plus de collaboration, plus durabilité et plus de poésie.