Dans la série « Hospitalité engagée », menée en collaboration avec l’association Les Grandes Tables du Monde, Un œil en salle aborde aujourd’hui son sixième thème : « Le plateau de fromages au restaurant.» Retours d’expériences de trois établissements membres des Grandes Tables du Monde : La Scène par Stéphanie Le Quellec** à Paris, La Table d’Olivier Nasti** au Chambard à Kaysersberg et le Restaurant William Frachot** à l’Hostellerie du Chapeau Rouge à Dijon. Source de profits s’il est bien géré ou vecteur de pertes s’il est délaissé, le plateau se doit d’être un sujet d’attention afin de servir l’expérience et la rentabilité du restaurant.
Passé par les préparations cuisinées, les assiettes pré-dressées, les planches à partager et les plateaux simplistes, il semblerait que le fromage refasse son entrée sur les roulantes des restaurants comme dans les esprits des clients. Durant chaque service, au Restaurant William Frachot** à Dijon (21), le chef sommelier et directeur du restaurant Maxime Brunet le constate : « Il y a un regain d’envie de la part de nos clients pour les grands plateaux, les étrangers en sont notamment très friands et l’associent à la France. » Avec une soixantaine de pièces présentées avant le dessert, Maxime Brunet et son équipe ont fait le choix de la générosité, tout en restant 100% bourguignon dans la sélection. Une vision identique à La Table d’Olivier Nasti** à Kaysersberg (67), proposant une trentaine de fromages différents. « Pour nous, la région Alsace est un terrain de jeu ; nous prenons nos fromages uniquement dans les massifs alsaciens et vosgiens. Tout le monde connaît le Munster, mais nous avons aussi beaucoup de produits de niche qu’on ne met pas assez en avant », explique le responsable de salle, Alexandre Walke. À l’adresse parisienne de Stéphanie Le Quellec, le restaurant La Scène** (Paris 8), la sélection est uniquement faite 100% en France, sans distinction avec des régions.
« Il y a un regain d’envie de la part de nos clients pour les grands plateaux, les étrangers en sont notamment très friands et l’associent à la France »
— Maxime Brunet, directeur du restaurant et chef sommelier au Restaurant William Frachot**
Une rentabilité accrue par la démarche locavore
La rentabilité d’un plateau de fromages dépend avant tout de la gestion des pertes et des circuits d’approvisionnement. Sur ces deux points, Maxime Brunet prône la proximité. « Si on prend le temps, c’est impossible de perdre de l’argent avec un plateau. Au quotidien, nous conditionnons les fromages comme il se doit. Un réfrigérateur pour les conservations longues, un pour le plateau du moment, les tommes sont à l’air libre, les fromages frais sur des grilles, on marque les dates d’achat sur chaque fromage. Avec ce travail, nous avons très peu de pertes », dit-il. Centré sur trois fromages, le plateau du restaurant La Scène par Stéphanie Le Quellec a, de fait, réglé cette problématique de roulement des stocks, tout en offrant une expérience différente autour de cette séquence. « Pour préparer mon épreuve dédiée au fromage pour le concours du Meilleur Ouvrier de France maître d’hôtel, j’ai imaginé un plateau qui permette aux convives de picorer les fromages au centre de la table, indique Joseph Desserprix, directeur du restaurant, auréolé du titre MOF maître d’hôtel. En effet, à la maison le dimanche midi, le fromage est déposé au centre de la table et on le partage. C’est ce moment que l’on voulait retranscrire au restaurant. Nous servons d’abord un Fontainebleau afin de préparer le palais, puis nous procédons à la présentation du plateau devant les clients. Il y a un aspect ludique, les convives voient le plateau évoluer grâce aux différents compartiments. Le geste de service est important et rend les gens curieux, ce qui a dynamisé les ventes. »
« Si vos collaborateurs goûtent, participent à la sélection, rendent visite aux producteurs ; lors du service du plateau, c’est leur moment et ils le vivent à fond avec les clients »
— Joseph Desserprix, MOF et directeur du restaurant La Scène par Stéphanie Le Quellec
© Alain Goussard
Une belle source de ventes additionnelles
Quel que soit la quantité de pièces sur le plateau, l’implication des équipes suppose donc la rentabilité et la qualité de l’expérience client. Proposée en supplément dans les trois restaurants, la séquence des fromages est également promue par la beauté du plateau. « Le visuel du plateau qui passe en salle et l’histoire que l’on raconte jouent beaucoup, confie Alexandre Walke. Le meuble a été créé par un ébéniste autour de l’idée d’une planche à égoutter le munster et nous servons le fromage dans des assiettes typiques alsaciennes qui ont plus de 120 d’âge. » Une véritable immersion dans la région Alsace qui séduit 70 à 80% des clients, un gage de ventes additionnelles pour l’équipe de sommellerie. « Nous avons une belle sélection de vins au verre grâce au Coravin, poursuit Alexandre Walke. Ce qui nous permet de faire du sur-mesure. Nous proposons également une sélection de boissons artisanales, des cocktails ou des boissons sans alcool que nous fabriquons pour s’accorder avec les fromages. » De son côté, Maxime Brunet n’hésite pas à s’adapter à la curiosité du client : « cela m’arrive de faire 4 petits verres au lieu d’un grand. Bières, oxydatifs, blancs, saké, les possibilités d’accord sont infinies ! » En termes de tarifs, les trois restaurants prônent l’adaptabilité, le prix affiché pouvant être revu à la baisse en cas de petite faim ou à la hausse si l’heure est à la gourmandise. Une démarche qui oblige à une communication saine et claire avec le client, ainsi qu’à une implication de la part des équipes. « Avoir des chefs de rang intéressés est important, quelle que soit la gamme de l’établissement, conclut Joseph Desserprix. Si l’on n’est pas conquis, on ne pense qu’au négatif. Cela prend du temps, les clients partent plus tard, les coupures sont plus courtes… Mais si vos collaborateurs goûtent, participent à la sélection, rendent visite aux producteurs, au moment du service du plateau, c’est leur moment et ils le vivent à fond avec les clients. Le fromage peut être vertueux, mais pour cela, il faut avant tout qu’il soit bien géré. »
« Pour nous, la région Alsace est un terrain de jeu, nous piochons nos fromages uniquement dans les massifs alsacien et vosgien »
— Alexandre Walke, directeur du restaurant La Table d’Olivier Nasti
© Ilya Kagan