Né à l’Aigle, dans l’Orne (61), Cédric Maupoint est breton de cœur – où il a grandi et effectué ses études en service et sommellerie. De tempérament discret, il a fait toute sa carrière à Paris, avec une incartade de trois ans en Italie, dans des établissements volontairement étoilés (Le Laurent, George V, Shangri-La Hotel Paris, Enoteca Pinchiorri). En plus d’être chef sommelier, Cédric Maupoint est aussi directeur de salle à La Scène, l’étoilé de l’Hôtel Prince de Galles, depuis juin 2016. Deux postes, selon lui, aux qualités identiques mais aux rôles bien distincts. Entretien.
Un œil en salle : Qui a provoqué votre cursus vers la sommellerie ?
Cédric Maupoint : Ce qui a vraiment déclenché ma passion pour le métier, c’est lors d’un stage à La Poularde à Montrond-les-Bains (42) où officiait le chef sommelier Éric Beaumard. Il avait crée une ambiance autour des vins qui était incroyable. Dès que je le voyais faire en salle, j’étais admiratif. Si bien qu’après mon BEP et baccalauréat professionnel, j’ai fait une demande pour intégrer une mention complémentaire sommellerie avec Christian Stevanin au lycée hôtelier de Dinard (35).
Vous êtes très vite monté à la capitale…
CM : C’est Paris qui nous choisit. Les opportunités y sont nombreuses. En 2000, ma première expérience s’est effectuée au restaurant Le Laurent avec Philippe Bourguignon. Un an plus tard, Éric Beaumard, alors en réouverture du restaurant Le Cinq au Four Seasons George V, m’appelle pour être commis sommelier. J’ai assisté à la création de la carte des vins, des séquences de service, etc. Il y avait aussi une équipe de folie (Enrico Bernardo, Thierry Hamon…), une clientèle avec des moyens. Deux ans plus tard, une problématique se pose : je n’avais jamais fait de pays étranger. Pas attiré par l’Angleterre, je suis allé en Italie au restaurant trois étoiles Enoteca Pinchiorri, à Florence, de la cheffe Annie Féolde. L’une des plus belles caves d’Italie, voire d’Europe, avec 120 000 bouteilles. En trois ans, j’ai pu goûter des flacons exceptionnels.
Quelle suite avez-vous donné à votre parcours ?
CM : En 2004, Enrico Bernardo, qui travaillait toujours à l’Hôtel George V, me rappelle pour le poste de second sommelier avec quasiment la même équipe gérée par Éric Beaumard. De retour à Paris, j’avais un rôle dans la gestion des vins, le rangement de cave, banqueting et room-service tout en allant une fois par mois dans les vignobles. Au départ d’Enrico Bernardo deux ans plus tard, j’ai été promu premier sommelier. C’est une très belle maison dans laquelle je me suis épanoui 6 ans.
Quand avez-vous pris votre premier poste de chef sommelier ?
CM : En 2010, deux palaces s’ouvrent à Paris, le Peninsula et le Shangri-La Hotel Paris. J’ai été reçu chef sommelier dans ce dernier avec la création d’une cave et du secteur de la restauration : 3 restaurants, 4 salles de banquet. Un challenge puisque c’était mon premier poste de chef sommelier. J’ai beaucoup appris d’un point de vue management et gestion des équipes. Et j’ai aussi eu l’opportunité de travailler avec deux chefs successifs en 6 ans : Philippe Labbé et Christophe Moret.
Pourquoi avoir décidé, en plus de la sommellerie, d’avoir un rôle dans le service ?
CM : J’avais envie de voir autre chose, mais surtout de grandir en termes de poste. J’englobais la sommellerie dans mes précédentes activités, mais j’avais le besoin d’aller plus loin dans le service. En février 2016, Michel Reybier, propriétaire du groupe hôtelier La Réserve, m’offre la possibilité d’avoir la double casquette de directeur de salle et chef sommelier au Gabriel à La Réserve Paris. Le chef Jerôme Banctel avait fait la même école que moi, et nous étions dans de bonnes dispositions. Quelques mois plus tard, la direction générale change et je me vois partir.
Avez-vous rebondi aussi vite ?
CM : Toute expérience est formatrice, je l’ai pris avec positivité. Ce sont des choses qui peuvent arriver. J’ai été contacté par l’Hôtel Prince de Galles pour travailler avec Stéphanie Le Quellec. Pour la petite histoire, nous étions commis en même temps au George V. Novembre 2016, me voilà directeur de salle et chef sommelier de La Scène, le restaurant étoilé de l’établissement, avec une brigade de 8 personnes.
Quelles ont été les restructurations ?
CM : J’ai la chance d’avoir une bonne équipe, d’être épaulé de mon adjoint Paolo Lastra qui a plus de 30 ans de maison et qui a connu son évolution, et de la maître d’hôtel Mélanie Chevreteau. On a pu construire un cocon. Avant, nous étions ouverts midi et soir, six jours sur sept. Depuis le 2 janvier 2018, après réflexion, nous avons voulu nous recentrer uniquement sur le soir, à raison de services par semaine (du mardi au samedi).
Est-ce que vous vous sentez plus sommelier ou directeur de salle ?
CM : Je suis sommelier dans l’âme, j’ai le plus gros de mon parcours dans cette discipline ; passer en direction de salle n’a pas été inné. Ce sont deux métiers distincts qui ont des qualités identiques mais pas que. La sommellerie est une passion qui s’apprend de jour en jour, chez soi ou n’importe où. Le service englobe d’autres connaissances produits, dont le vin fait bien évidemment partie, être habile avec les techniques, les nouvelles technologies, les systèmes de réservation, les avis clients post visite, etc. Ce qui diffère, à mon sens, est le contact clientèle : en sommellerie, on est en charge des vins et des accords ; tandis qu’en service, il y a plus de paramètres (la température de la salle, l’accueil téléphonique, le vestiaire, la prise de commande des mets, la coordination avec la cuisine, le confort client, etc). C’est un tout. Il faut toujours être en lien avec son équipe, comprendre s’il y a un souci et s’adapter.
La cuisine a la particularité d’être au cœur de la salle. Est-ce plus difficile à gérer ?
CM : Il n’y a pas de problématique en termes de bruit. Nous devons garder la maitrise du service, de nos rangs. Un exemple : une table est proche de la cuisine, et a terminé son plat. La cuisine va avoir tendance à faire marcher la suite. Or, c’est au service de juger si nous devons le faire et l’anticiper. C’est notre rôle de s’assurer que les clients vont à la vitesse qu’ils veulent. Le service est sensible à cela, au bon timing.
Effectuez-vous des techniques ou finitions ?
CM : Après la fermeture du déjeuner, il s’agissait du deuxième point à l’étude. Nous faisons des découpages : poissons ou volailles. Nous avons quelques gestes : le beurre servi sur un galet à table. Sinon, nous avons pris le parti d’avoir une seule belle pièce de fromage (type un Comté 48 mois) plutôt qu’un chariot.
Quant est-il côté vins ?
CM : Nous avons 23 000 bouteilles pour 800 références (95% de vins français), dont une centaine qui n’est pas sur carte. En arrivant, j’ai fait un état des lieux en cave. Il y a eu de beaux achats effectués par mes prédécesseurs ; j’essaye de maintenir cela et d’y mettre ma « patte » personnelle tout en étant cohérent avec la politique de l’établissement et ce que le client a envie de boire. J’ai mis en place des accords vins sur le menu dégustation, et refait un travail de fond avec les vignerons.
Parlez-nous du menu Le vin du Prince et les Dîners théâtraux qui ont été mis en place…
CM : Le vin du Prince est un menu à 140 €, servi tous les mardis au dîner, qui propose 4 accords vins et plats. Je choisis des vins « coup de cœur », puis Stéphanie Le Quellec réalise les plats en fonction. Cette sélection permet de faire découvrir des vins français ou étrangers à la clientèle. Quant aux Dîners théâtraux (en clin d’œil au nom du restaurant, La Scène), nous avons commencé en 2016 ; il y a deux représentations par an. Cette année, elle a eu lieu en mars sur la pièce de théâtre La gloire de mon père de Marcel Pagnol. Un menu, en l’occurrence ici dédié à la cuisine provençale, est établi en fonction de la pièce de théâtre, par actes. Je gère la pièce et les comédiens, qui font une lecture de textes, tout en mettant en avant les vins. Je prends du plaisir à faire ces dîners, ça permet de nous sortir de nos habitudes et de faire des choses que l’on ne maîtrise pas.
Est-ce que vous vous renseignez sur la clientèle avant son arrivée au restaurant ?
CM : On peut difficilement se renseigner sur les clients. Cela dépend de la structure de l’établissement. À La Scène, on a des historiques (cardex) de ceux qui sont déjà venus, mais aussi des indicateurs en amont de leur arrivée. Par exemple, celui qui a réservé via un site de réservation, on peut supposer qu’il est à l’aise avec les nouvelles technologies, donc qu’il sera à même de suivre nos offres spéciales. Chaque convive est différent, l’un prendra 15 minutes à faire ses choix, l’autre ira très vite. Notre rôle est de savoir nous adapter.
Ne pas être vigilant à un commentaire sur Internet peut être très dangereux.
Comment réagissez vous aux commentaires post-visite laissés sur les sites de réservation ? Est-ce que vous vous en occupez ?
CM : Oui, c’est devenu essentiel. Notre rôle est de gérer la visite du client avant, pendant, et surtout après son départ. Ne pas être vigilant à un commentaire sur Internet peut être très dangereux. Pour ma part, je ne réponds qu’aux commentaires négatifs. Les positifs, je délègue aux équipes marketing, sinon cela me prendrait trop de temps. Il faut répondre aux clients mécontents, cerner quel a été le problème, et tenter de les faire revenir. J’essaye d’être factuel.
Sa bio, en dates :
- 1994-1996 : BEP/CAP au lycée hôtelier de Dinard (35)
- 1996-1998 : Baccalauréat professionnel au lycée St Méen le Grand (35)
- 1998-1999 : Mention complémentaire sommellerie au lycée hôtelier de Dinard (35)
- 1999-2000 : commis sommelier au Laurent à Paris
- 2000-2002 : commis sommelier Le Cinq de l’Hôtel George V à Paris
- 2002-2004 : sommelier à Enoteca Pinchiorri à Florence (Italie)
- 2004-2010 : second, puis premier sommelier Le Cinq de l’Hôtel George V à Paris
- 2010-2016 : chef sommelier de L’Abeille, Shangri-La Hotel Paris
- 2016 : directeur du restaurant et chef sommelier au Gabriel, La Réserve Paris
- 2016-aujourd’hui : directeur du restaurant et chef sommelier La Scène, Hôtel Prince de Galles à Paris
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Infos pratiques :
La Scène, Hôtel Prince de Galles, 33 Avenue George V, 75008 Paris – www.la-scene-restaurant.fr