Petite, elle se rêvait « maîtresse » et n’y a jamais dérogé. Cette alsacienne, qui fête ses 30 ans d’enseignement en 2018, a même réussi à conjuguer son métier avec sa deuxième passion : les arts de la table. À 54 ans, Chantal Wittmann est aussi l’une des deux seules femmes auréolées du titre de meilleur ouvrier de France (MOF) dans cette catégorie. Rencontre avec la restaurant manager du Bellevue à Glion, en Suisse.
Mise à jour (septembre 2021) : Chantal Wittmann est dorénavant à l’École Ducasse à Meudon
Un œil en salle : Obtenu en 2011, qu’est-ce que le titre de MOF vous a apporté ?
Chantal Wittmann : Je l’ai obtenu à la deuxième participation. Ce fut une belle reconnaissance de la part de mes paires. Mais aussi une confirmation de mon savoir-faire professionnel. Le titre m’a ouvert des portes en France comme à l’international ; j’ai pu notamment participer aux Masters of Food & Wine à Shanghaï (Chine) ou faire des démonstrations à Kuala Lumpur (Malaisie) avec des grands noms de la gastronomie. Je dirais donc que le titre m’a ouvert sur le monde, et qu’il a changé le regard des autres – des élèves mais également de tous ceux avec qui je travaille.
Vous êtes une passionnée des arts de la table. Que retenez-vous de toutes vos recherches sur ce sujet ?
CW : Effectivement, je fais beaucoup de lectures sur les arts de la table en essayant de suivre leur évolution à travers les siècles. J’aime comprendre pourquoi nous sommes arrivés à une mise en place telle qu’on la connaît aujourd’hui. Celle-ci évolue sans cesse et tend vers la dispa- rition de la nappe, une mise en place simplifiée… Au contraire, au 19e siècle, on utilisait beaucoup plus de couverts, avec une plus grande diversité. Je voue une profonde admiration pour ces orfèvres (Ercuis, Christofle…) qui font un travail incroyable avec des matériaux précieux.
Que vous inspire cet art de vivre à la française ?
CW : Les arts de la table font bien sûr partie de l’art de recevoir. D’ailleurs, preuve en est, le repas gastronomique a été classé au patrimoine immatériel de l’Unesco. Savoir manger, savoir accueillir font partie de notre patrimoine. D’une manière générale, le plaisir d’être à table me fascine. Je fais souvent réfléchir les étudiants voire même les clients sur cette symbolique de la table qui permet de célébrer des moments exceptionnels de notre vie. Ça peut être source de joie (une rencontre, des fiançailles…) mais aussi de tristesse (un décès, un départ…). On ne se rend pas compte à quel point c’est fort d’être réunis autour d’une table. Souvent, je pose la question : « Pour vous, c’est quoi une jolie table ? » Et les définitions sont multiples. La mienne est très simple, c’est une table qui invite à s’asseoir !
Justement, l’œuvre de la finale du MOF 2011 était sur la réalisation d’une table…
CW : Oui, nous devions réaliser une mise en place pour un petit-déjeuner continen- tal pour deux personnes. Le sujet avait été donné trois semaines en amont. À Strasbourg (67), j’avais un contact avec la Cristallerie Saint-Louis (Groupe Hermès) qui m’a fourni pour 4 000 € de vaisselle et d’argenterie siglées avec le fer à cheval. Ma table s’appelait Diane en écho à la course annuelle de chevaux à Chantilly (60), où les femmes sont toujours apprêtées de manière très classe. Signe de cette élégance, j’avais juste mis une orchidée phalaenopsis. Le matin du concours, j’avais acheté le journal avec l’état du terrain et de la météo. Tout était scénarisé en fonction de cette course. Ce qui est drôle, c’est que le concours s’est passé au Fouquet’s, dans l’un des salons dénommé… Diane !
Comment rendez-vous visible le titre ?
CW : Je reste assez discrète. Au-delà du pin’s, je porte des chemisiers à col bleu-blanc-rouge uniquement lors des sorties officielles. Sinon, il m’arrive de mettre ma redingote et mon chemisier à col chabot qui font toujours sensation. Le choix de cette tenue n’est pas anodin. Elle fait référence à un chef d’orchestre au même titre qu’un maître d’hôtel dirige sur scène et rentre en représentation. Ma citation : « La cuisine écrit la partition, la salle l’interprète. » C’est très imagé ; chacun joue un rôle, un instrument de musique, et c’est ensemble qu’on arrive – ou pas – à jouer le morceau harmonieusement. Avec du recul, je connais le travail que le titre impose, la préparation, la rigueur. J’ai une profonde admiration pour les métiers de l’artisanat qui sont représentés par les MOF. Il faut être fier de porter les couleurs.
« Il faut éveiller la curiosité des jeunes, qu’ils soient inventifs, créatifs. »
En tant qu’enseignante, est-ce facile d’inculquer le savoir-être ?
CW : Cette notion est indescriptible et délicate ; cela demande quelques années d’expérience pour comprendre la psychologie du client et sentir les choses. Aux étudiants, j’indique que le savoir-être, c’est d’abord l’apparence sur soi. Puis, il y a l’expression corporelle, le son, le ton et la vitesse de parole, la gestuelle, la façon de se déplacer dans une salle, l’importance des mots dans un intitulé des plats… Des cours de théâtre et des jeux de rôle aident aussi à prendre confiance en soi.
Le métier oblige à se remettre sans cesse en question. Et encore plus dans l’enseignement ?
CW : On doit essayer de donner une expérience exceptionnelle au client, et si possible, unique ; puis le fidéliser. Quand celui-ci revient, il en aura une autre. Je réfléchis donc à dynamiser le service à travers le changement de carte. Que le client puisse avoir des surprises via des finitions en salle, et qu’il ne s’ennuie pas. Lui proposer quelque chose de différent. Par exemple, le métier de barista se développe fortement, pourquoi pas réaliser un service des boissons chaudes de manière innovante ? Il faut éveiller la curiosité des jeunes, qu’ils soient inventifs, créatifs. Notre rôle, c’est de leur donner envie pour qu’ils puissent être passionnés de ce qu’ils font. Car c’est là qu’ils seront heureux.
Depuis quand enseignez-vous ?
CW : Je suis rentrée à l’IUFM d’Antony (92) en 1988 ; cela fait donc 30 ans ! Petite fille, je rêvais d’être maîtresse. J’aimais aussi les langues étrangères et les voyages, l’hôtellerie étant donc le domaine dans lequel je voulais m’épanouir. J’ai été formée à l’école hôtelière de Strasbourg (67), avant d’y revenir plus tard pour enseigner pendant 18 ans. Entre temps, j’ai aussi été professeure de restaurant au lycée hôtelier de Schiltigheim (67) et réceptionniste durant cinq années.
À la rentrée 2017, vous avez intégré Glion en Suisse. Comment se passe ce changement du public au privé ? Quel est votre rôle ?
CW : J’ai postulé pour l’ouverture du Bellevue, le restaurant à caractère gastronomique de l’Institut de hautes études de Glion, en qualité de restaurant manager. Et quel bonheur ! J’ai été séduite par le projet, la dimension internationale – rencontrer des étudiants du monde entier. C’est une richesse. En mon for intérieur, je me disais que ça me plairait d’ouvrir un restaurant ; la vie a fait que je suis arrivée là. Le challenge est de taille et stimulant. Et je crois que c’est important de se remettre en question dans son quotidien professionnel.
Sa bio, en dates :
• 1983 : BTS option hébergement au lycée Alexandre Dumas à Illkirch-Graffenstaden (67)
• 1983-1988 : réceptionniste puis présidente du directoire à l’hostellerie Saint-Barnabé de Buhl-Murbach (68), réceptionniste au Hilton à Strasbourg (67), maître d’hôtel au restaurant du Sofitel à Mulhouse (68)
• 1988-1989 : école nationale normale d’apprentissage à Antony (92)
• 1989 : titularisation au lycée professionnel Aristide Briand à Schiltigheim (67)
• 1999 : enseignante au lycée Alexandre Dumas à Illkirch-Graffenstaden (67)
• 2011 : titre de meilleur ouvrier de France classe maître d’hôtel, du service et des arts de la table
• 2017 : restaurant manager à Glion (Suisse)
Découvrir cette interview dans le numéro papier Un oeil en salle 4
1 commentaire
Bravo Chantal Wittman vous faites honneur a votre titre de MOF et a la profession .