Pas de curriculum vitae à rallonge, ni même de longues études, le directeur de salle du Restaurant Pierre Gagnaire, qui fêtera ses 18 ans de maison le 15 décembre prochain, est la preuve que l’on peut se faire une place dans le métier avec force et conviction. Soucieux de se remettre sans cesse en question, ce Bourguignon fonctionne à l’affect et à l’humain avec sa brigade de 18 personnes. Interview d’un homme de caractère.
Un œil en salle : Vous vous êtes engagé à 14 ans vers les métiers de la salle. Etait-ce votre choix ?
Hervé Parmentier : Avec du recul, j’ai en effet commencé prématurément dans le métier. Je n’appréciais pas l’école ; j’ai arrêté le collège en 5ème. J’avais 14 ans. Mes parents connaissaient Jacqueline et Michel Lorain de La Côte Saint Jacques à Joigny (69). Je voulais être en cuisine, mais il n’y avait pas de place. J’ai donc commencé pré-apprenti bagagiste et je faisais aussi la mise en place au restaurant. J’ai découvert l’univers de la salle. J’étais fasciné par l’aisance de Michel Bachelet, alors premier maître d’hôtel, à faire des découpes. Je me suis pris de passion pour ce métier. J’ai intégré un CAP service en salle en alternance au CFA d’Auxerre et à La Côte Saint Jacques. Après un bref passage en Irlande pour apprendre l’anglais, j’ai été embauché au Château d’Artigny à Monbazon (37). J’ai gravi plusieurs échelons, de chef de rang à 3ème maître d’hôtel. C’est dans cette maison que j’ai eu mon mentor, Alain Rabier, ancien vice-président Relais & Châteaux. Il était très attentif, vigilant sur chaque détail. L’équipe se comprenait en salle rien qu’avec les expressions de son visage. J’en garde un très bon souvenir, et il m’a conforté dans l’idée de poursuivre dans cette voie. S’ensuivent une saison de chef de rang à Méribel, puis un CDI de trois ans à l’Ermitage à Saint-Germain-en-Laye (78), avant de commencer à travailler pour Pierre Gagnaire à Paris.
À votre arrivée en décembre 1998, le chef avait 3 étoiles Michelin rue Balzac. Quels ont été vos premiers échanges ?
Le feeling est bien passé. Pierre Gagnaire est un chef soucieux du bien-être de son personnel. Il m’a dit qu’en intégrant l’établissement, j’avais de fortes chances d’y rester un bon moment. Cela met en confiance. J’avais 29 ans et la fougue d’intégrer un 3 étoiles. Je suis arrivé chef de rang avant de devenir maître d’hôtel, respectivement pendant 5 ans, puis directeur de salle. Je vais fêter mes 18 ans de collaboration le 15décembre prochain ! Le chef se remet sans cesse en question, et impose de fait de se renouveler en salle. Et j’apprécie cela.
La salle a une capacité de 50 couverts.
Quelle est justement l’approche du service ?
Le service est très détaillé et séquencé. Nous sommes 18 en salle (dont un maître d’hôtel, Elimane Kane, un assistant Luca Modafferi, un chef sommelier, Patrick Borras, un assistant, Dorian Dhilly) pour 60 couverts. Un chef de rang a 4 tables en charge. Ce sont les sommeliers qui prennent les apéritifs. Pour chaque plat servi, il y a un geste (soit un déclochage, une finition, …). Cette mise en scène permet de rentrer en contact avec le client, d’échanger avec lui, de l’intéresser. Il y aussi un gros argumentaire en salle : les plats du chef sont très précis et complexes à déceler de prime abord. Pour preuve, il peut y avoir 4 à 5 assiettes sur table pour un client. Le service est donc très attentionné. Je dirai que nous passons 60% de notre temps à nous occuper du client (via des marques d’attentions), et 40% au service lui-même.
Comment la cuisine et la salle collaborent-elles pour être en osmose ?
Une idée, une analyse ou une réflexion peuvent germer à n’importe quel moment. Le chef est très ouvert, à notre écoute ; et vice-versa. Il peut nous donner la ligne directrice, puis charge à nous de nous renseigner. Par exemple, il voulait servir un plat à base d’agneau dans une assiette creuse ; or il fallait enlever un cercle en argent à l’aide de deux fourchettes à la table du client. Après plusieurs essais, nous ne trouvions pas cela élégant, ni pratique. Le choix du personnel de salle s’est finalement porté vers une assiette plate. Parfois, avant le lancement d’un service, le chef pense à quelque chose (changement d’apéritif, rajout d’une sauce, …) qui impose de vite trouver des solutions. L’adrénaline nous rend meilleur.
Une partie de l’équipe de salle du Restaurant Pierre Gagnaire Paris.
L’humain est au cœur du Restaurant Pierre Gagnaire. Que mettez-vous en place pour capter le personnel ?
Pour moi, un papier [curriculum vitae, NDLR] ne veut rien dire. Je préfère donner une chance au jeune, qu’il fasse ses preuves. Pour fidéliser son personnel en salle, il faut favoriser une évolution dans l’entreprise. Avec des restaurants dans le monde entier, le Groupe Pierre Gagnaire le permet. En entretien, je mets l’accent sur le fait d’évoluer en voyageant. Egalement, le chef tient à ce que son équipe vive l’expérience d’un repas, à raison d’une fois par mois à tour de rôle. Par exemple : Pauline, Arthur et Charline, respectivement chef de rang, chef de partie et stagiaire, sont dernièrement venus déjeuner au restaurant comme des clients. Le soir même, ils devaient livrer leurs ressentis. L’idée ? Comprendre pour mieux expliquer.
Dans votre brigade, le turnover est très faible. Est-ce la preuve que l’on peut conjuguer vie privée et vie professionnelle dans un 3 étoiles ?
L’un ne va pas s’en l’autre. Tout est mis en place pour que les employés se sentent bien. Et cela se retranscrit en salle, face aux clients. Même si le métier exige de nombreuses heures de travail, et en coupure, les avantages sont nombreux. Nous avons tous nos week-ends (samedi et dimanche) depuis 5 ans, un jour de RTT par mois. Deux fois par an, nous tenons un bilan pour connaître les projets des équipes de salle, ce qui permet d’anticiper. Enfin, côté pourboires, il y a un tronc commun à 50/50 entre la cuisine et la salle.
Le briefing avant chaque service : Hervé Parmentier est à l’écoute des remarques de son équipe.
Une anecdote en salle ?
Un jour de Saint-Valentin, nous avons oublié une table (erreur de réservation). Lorsque le client est arrivé, nous nous sommes arrangés pour qu’il ne s’aperçoive de rien. Pendant qu’il buvait son apéritif, avec l’équipe nous avons monté une table en catastrophe – là où il restait de la place, près d’un escalier. Le client ne s’est aperçu de rien. D’ailleurs, il était très content à son départ. Le plus du directeur de salle, c’est de trouver une solution à une situation qui pourrait paraitre compliquée, toujours pour le confort de l’hôte.
Vos deux maîtres mots ?
La gentillesse et l’écoute.
Sa bio, en dates :
- 8 mai 1969 : Naissance à Joigny (89)
- 1983/87 : Pré-apprenti, puis apprenti à La Côte Saint Jacques à Joigny / CAP service en salle au CFA d’Auxerre (89)
- 1988/93 : Demi-chef de rang, chef de rang, puis 3ème maître d’hôtel au Château d’Artigny à Montbazon (37)
- 1994 : Saison de chef de rang à L’Allodis à Méribel (73)
- 1995 : Chef de rang à l’Ermitage des Loges à Saint-Germain-en-Laye (78)
- 1998/2003/2008 : Chef de rang, maître d’hôtel, puis directeur de salle au Restaurant Pierre Gagnaire Paris (75)
La vision de Pierre Gagnaire sur les métiers de salle :
« Je compare un employé de salle a un commercial. Il doit être à l’écoute, mettre à l’aise, savoir vendre. Pour moi, il y a deux contacts à ne pas négliger. Le premier : le téléphone. Il faut arriver à cerner la personne, lui montrer de l’intérêt. Le deuxième : la rencontre. À son arrivée, le client doit sentir, rien qu’avec le visage, qu’on l’attend et qu’on est heureux de le recevoir. Enfin, en s’asseyant, celui-ci doit se croire à un spectacle. Il verra une pièce où tout se boit et se mange, selon différentes interprétations. Je pense aussi que le luxe doit être synonyme de simplicité. »
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