Le hasard de la vie peut bouleverser positivement une carrière. Alors âgé de 30 ans et diplômé en ingénierie de l’environnement, Serge Schaal fait la rencontre de Nicolas Stamm et se tourne vers les métiers de salle. En 2020, ce binôme fête les 20 ans de leur restaurant doublement étoilé. À l’aube de son 50ème anniversaire, le Strasbourgeois revient sur le cheminement qui lui a permis d’appréhender son nouveau métier.
Interview parue dans le Magazine Un oeil en salle N°9
Un œil en salle : Vous avez été nommé « Directeur de salle de l’année » par Gault&Millau en 2019. Une première distinction au niveau national ?
Serge Schaal : C’est mon deuxième titre ; j’avais reçu la distinction « Directeur de restaurant de l’année » au guide Champérard en 2011. Ça représente essentiellement une mise en avant du travail que je peux faire au quotidien avec mes équipes. Car je suis toujours un homme de salle, et pas uniquement un cogérant ou un chef d’entreprise. J’officie tous les jours à leurs côtés. C’est une fierté et un honneur, et de pouvoir le partager avec tous mes collaborateurs. Ils ont pleinement contribué à l’obtention de ce titre. Au niveau régional, le guide Pudlonous avait nommé « Restaurateurs de l’année » en duo avec Nicolas Stamm en 2017, puis « Trophée de l’accueil en salle » au Gault&Millau Tour Grand Est en 2018.

Justement, depuis quand êtes-vous associé à Nicolas Stamm ?
SS : On travaille ensemble depuis 1998, mais nous sommes associés en 2000 à La Fourchette des Ducs à Orbernai (67), soit 20 ans cette année ! Un duo à la ville comme à la scène. Nous avons une complémentarité très importante. Nicolas m’a permis d’apporter ma propre vision de ce que doit être une collaboration, constructive et bienveillante entre les équipes. Je me suis toujours battu pour que la salle ait un rôle aussi important que la cuisine. On doit être sur un même pied d’égalité. Et c’est nécessaire pour l’ambiance générale d’un restaurant. Et je peux le dire car je n’étais pas issu de ce métier, lors de mes premiers services, je n’ai jamais pu comprendre les barrières qu’il existait entre les 2 métiers, notamment au niveau du passe. Pour moi, il n’y a pas de hiérarchie ; la cuisine qui dirige et la salle exécute. Non, ce n’est pas comme ça que j’imagine notre profession !
Notre responsabilité est de rythmer le service, avec l’intelligence de comprendre les impératifs et les contraintes de la cuisine pour faire les bonnes annonces.
Quelle harmonie règne à La Fourchette des Ducs ?
SS : Si on a une ambiance aussi agréable, c’est parce qu’on a trouvé le juste équilibre et le juste dosage entre les deux parties. Notre rôle en salle est de donner le tempo à la cuisine. Selon moi, les cuisiniers ne peuvent pas décider d’envoyer des bons comme ils le veulent. En salle, on a un travail de psychologie, déceler pourquoi tel client est là, dans quel but, et s’il souhaite manger vite ou non… Nous avons cette responsabilité de rythmer le service, avec l’intelligence de comprendre les impératifs et les contraintes de la cuisine pour faire les bonnes annonces. Chacun doit gérer son propre stress, sans le transmettre à l’autre. Le coup de feu est le même, et je dirai qu’il est encore plus compliqué à gérer en salle car nous avons… les clients et leurs comportements – tout aussi différents !
La Fourchette des Ducs change de lieu en fonction de la saison. L’été : une salle ornée des œuvres des ateliers Baccarat ou de celles de l’artiste Marc Petit. La Fourchette des Ducs change de lieu en fonction de la saison. L’hiver, plongez dans un espace chargé d’Histoire, sur les traces d’Ettore Buggati et habité par la présence de René Lalique.
Justement, votre parcours est atypique ; parlez-nous en ?
SS : J’ai fait des études scientifiques : une maîtrise de géophysique et un diplôme d’ingénieur en environnement à Strasbourg (67). Mon objectif était de travailler pour les collectivités ou les entreprises pour la protection de l’environnement. Je n’ai pas quitté ce cursus car je ne l’aimais plus, mais parce que le hasard de la vie (la rencontre avec Nicolas Stamm, NDLR) m’a conduit vers la restauration. Après un extra en salle, j’ai finalement poursuivi avec lui. Un choix mûrement réfléchi. On s’est associés en ouvrant La Fourchette des Ducs en 2000. J’avais 30 ans.
Avec du recul, est-ce compliqué de ne pas être un « élève » du secteur ?
SS : Je n’ai pas eu une formation traditionnelle, ni été formaté pour accepter tous les « codes ». Ça m’a permis d’imaginer autre chose et d’avoir ce raisonnement. J’ai de la chance que Nicolas, issu d’un modèle classique, est accepté de mettre en place le type de management évoqué ci-dessus. Je me suis pris au jeu de ce métier avec la possibilité de l’appréhender à ma manière. Il nous apporte aussi de merveilleuses opportunités et rencontres.
Qu’avez-vous apporté à la maison avec votre regard « extérieur » ?
SS : Parmi les exemples, nous avons été la première maison, en septembre 2000, à effectuer un seul service par jour. Tout le monde parle aujourd’hui du problème de la coupure, du manque de personnel. De plus en plus de grands restaurants pensent à supprimer un service, comme Yannick Alléno au trois étoiles qui vient de fermer le midi, ou d’avoir une double équipe. On travaille 5 jours sur 7, soit 6 services par semaine pour le bien-être du personnel. Il y a 19 ans en arrière, c’était une révolution.

Comment répartissez-vous les rôles avec votre brigade ?
SS : Nous sommes une équipe de 7, dont un directeur de salle, Thomas Hirtz. Il a fêté ses 10 ans à La Fourchette des Ducs ! C’est mon bras droit. Nous avons aussi un sommelier et 4 chefs de rang. Pour ma part, je suis directeur de restaurant ; c’est rare que je loupe un service. Notre force, c’est d’être présents avec Nicolas pour accueillir nos clients chaque soir. En région, ils aiment nous voir. Ce n’est pas qu’on n’a pas confiance en nos équipes, pas du tout, mais notre rôle est, à mon sens, d’être là.
La qualité d’une cuisine, c’est discutable ; chacun ayant ses goûts, ses opinions. Mais on peut qualifier et juger un bon accueil ou service.
Quelle est votre vision sur l’avenir du métier que vous avez choisi ?
SS : Le chef nous permet d’exister. Mais ce qui fait revenir les clients, c’est réellement le travail de salle pour moi. Et je suis certain qu’aujourd’hui, et encore plus dans les années à venir, la différence entre nos maisons passe par la qualité de l’accueil ! La force d’un établissement, c’est l’art de recevoir. La qualité d’une cuisine, c’est discutable ; chacun ayant ses goûts, ses opinions. Mais on peut qualifier et juger un bon accueil ou service. C’est la partie la plus importante d’un restaurant pour qu’il fonctionne.
Sa bio en dates :
- 1970 : naissance à Strasbourg 67)
- 1997 : maîtrise de géophysique, diplôme d’ingénieur en environnement ; rencontre avec Nicolas Stamm
- 2000 : ouverture et cogérant de La Fourchette des Ducs à Obernai (67)
- 2002-2005 : première, puis deuxième étoile Michelin
- 2009-2014 : trésorier de l'association Les Grandes Tables du Monde
- 2011 : directeur de restaurant de l’année par le guide Champérard
- 2014-2019 : vice-président de Les Grandes Tables du Monde, en charge de la commission des métiers de la salle
- 2019 : directeur de salle de l’année par le guide Gault&Millau
- 2020-2021 : parrain du 3ème Trophée du maître d'hôtel
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ils sont au TOP FELICITATIONS