Interview parue dans le magazine Un oeil en salle N°8 / Formé en apprentissage, ce toulousain de 27 ans a très vite connu le « terrain ». Assidu, travailleur, et appuyé par des professionnels « mentors », il s’est naturellement développé sur deux expertises indissociables : le service et la sommellerie. Depuis novembre 2018, Damien Azemar est directeur du restaurant Lasserre à Paris (VIIIe).
Un œil en salle : Quels ont été vos premiers pas dans l’apprentissage ?
Damien Azemar : Après un baccalauréat technologique, j’ai intégré une mention complémentaire sommellerie au CFA de Blagnac (31), en apprentissage à L’Arôme et le Grain à Labège (31). C’est là où on m’a propulsé au cœur du métier, grâce à Laurent Campagnol, alors directeur de salle, un formateur incroyable avec qui je suis toujours en contact ! Il m’a appris les bases, et m’a poussé à faire mon premier concours régional, le trophée André Daguin, à la Foire au foie gras à Samantan (32). J’étais en binôme avec Bertrand Noeureuil (cuisinier). De mon côté, je devais sélectionner des vins et les accorder avec ses plats. Ce concours est anecdotique, mais ça permet de stimuler ton apprentissage. Ça faisait seulement 2 mois que je touchais une bouteille de vin.
Très vite, vous êtes monté à la capitale ?
DA : À cette époque, le pâtissier Maël le Bacquer me conseille de partir en apprentissage à l’Hôtel Le Meurice à Paris, par le biais d’un de ses amis, Julien Tongourian, sous-chef de Yannick Alléno. À peine majeur, l’univers palace était abstrait pour moi. Premier 3 étoiles, et première fois à Paris aussi ! J’ai accepté, tout en intégrant un BP sommellerie au lycée Albert Bayet à Tours (37), aux côtés du formateur Christian Péchoutre, MOF sommellerie 2000. Je le connaissais de nom, et j’y suis allé pour lui. Tandis qu’au Meurice, j’étais formé par Estelle Touzet, chef sommelière hors pair, grâce à qui j’ai gagné les Olympiades des métiers en sommellerie au niveau national, en 2012. Dépassement de soi, rigueur, adaptabilité, ce fut le moment le plus formateur. Sans cesse, elle me répétait : « Si tu veux te faire respecter, fais-toi respecter par ton travail ! » J’étais aussi entouré d’une équipe de choc : Matthias Meynard (Shangri-La Hotel Paris), Baptiste Cavagna (Le Grand Restaurant, Paris), Mikaël Mathé (La Fromagerie d’Honorine, Conflans).
Où avez-vous démarré une fois dans la vie active ?
DA : Estelle Touzet m’a placé avec David Biraud, directeur de salle et chef sommelier au Mandarin Oriental Paris (Ier). J’ai pris mon premier poste de chef de rang-sommelier. Sur la dizaine de membres de l’équipe, trois quarts était des sommeliers. Le souhait de David Biraud : s’occuper autant du service que des boissons dans son rang. J’y suis resté un peu plus d’un an.
À 22 ans, j’ai été promu chef sommelier d’un trois étoiles !
Revenir au Meurice où vous aviez été formé, était un souhait ?
DA : En 2014, Alain Ducasse reprenait les cuisines du Meurice ; on m’a recontacté à ce moment. Je ne suis pas forcément pour revenir dans une entreprise, mais tout repartait de zéro : nouvelle équipe, nouvelle salle, nouveaux objectifs… J’ai accepté le challenge. Je suis donc revenu assistant chef sommelier, sous Flaviano Scaratti, parti quelques mois plus tard. À 22 ans, j’ai été promu chef sommelier d’un trois étoiles ! La direction voulait avoir le plus jeune chef sommelier d’un trois étoiles en France. Avec du recul, et en étant objectif et sincère, j’ai pu louper des étapes – tout s’est fait très vite, alors que je démarrais ma carrière. Je gérais une brigade de 8 sommeliers, le gastronomique, la brasserie, les achats vins du bar, du room-service, et des banquets, sous la gouverne de Gérard Margeon, chef sommelier exécutif du Groupe Ducasse Paris. Une période très formatrice.
Pourquoi avoir accepté ensuite une ouverture à Megève ?
DA : Non pas que je suis attaché au curriculum vitae (CV), il faut avoir une sorte de logique dans son plan de carrière. Deux ans et demi en poste au Meurice me paraissait bien. Puis, Olivier Alglave, que j’avais connu assistant maître d’hôtel à l’époque de mon apprentissage, me propose de faire l’ouverture du Four Seasons à Megève (74) avec d’autres anciens de l’équipe, Maxime Bastard etJulien Gâtillon. Une superbe opportunité en tant que chef sommelier pendant deux ans.
De chef sommelier, vous êtes passé directeur de salle ?
Après Megève, on m’a appelé pour rejoindre Lasserre à Paris (VIIIe) en novembre 2018. Ce qui m’a plu, c’est de décrocher le poste de directeur de salle. Mais aussi le fait de chapeauter une maison historique. Mon objectif : apporter un nouveau souffle sur le service. René Lasserre disait : « Venez passer un moment chez Lasserre. » Ça englobe un tout, les mets, les vins, et le moment.

La salle du restaurant Lasserre avec son toit ouvrant.
Selon vous, un professionnel doit être autant habile en salle qu’en sommellerie. Parlez-nous en ?
DA : C’est mon premier double poste au Mandarin Oriental qui m’a mis la puce à l’oreille. Quand je suis arrivé au Meurice, le service et la sommellerie étaient sectorisés. Ça manquait, à mon sens, de fluidité, de transversalité. Peut-être qu’on a peur de le dire, mais pour moi, c’est inconcevable qu’un directeur de salle n’ai pas d’atout en vins. Pourquoi les sommeliers devraient apprendre la carte par cœur et la culture gastronomique pour faire les accords ? Et pourquoi les directeurs de salle n’auraient qu’à connaître la carte sans s’intéresser aux vins ?
Vous avez donc aujourd’hui une double casquette ?
DA : De retour chez Lasserre en septembre 2017, Stéphane Jan est le chef sommelier. Mais j’ai aussi un regard sur la sommellerie, en plus du service. À mon poste, j’apprécie avoir un premier contact avec un client à la réservation, puis l’accueillir. Je suis capable de prendre sa commande, et le conseiller pour les vins. Je peux aussi découper un canard, et lui proposer un accord. Il faut avoir cette gymnastique professionnelle. Être homogène dans son service. Et je crois que ça fait partie de l’expérience client. Pour moi, quand on parle de la salle, c’est aussi la sommellerie.
Je touche, je goûte des produits d’exception que je n’aurai pas les moyens d’acheter au quotidien.
Qu’est ce qui compte le plus dans votre métier ?
DA : L’humain. Si je fais ce métier, c’est pour rendre un moment éphémère, inoubliable. Les clients viennent pour qu’on dépasse ce qu’ils attendaient avant de venir. Ces moments impalpables sont difficiles à expliquer. Je fais aussi ce métier car je vois, je touche, je goûte des produits d’exception que je n’aurai pas les moyens d’acheter au quotidien. C’est un vrai luxe.
Lasserre est un lieu à part ?
DA : Plus que n’importe où j’ai travaillé, Lasserre est une maison de célébration. Trois quarts des tables viennent célébrer un moment (examen, noce de mariage, anniversaire…). On a un gros stock de bougies (rires).
À 27 ans, vous êtes au début de votre carrière. Est-ce que vous vous remettez en question ?
DA : Je lis beaucoup en dehors du travail. J’adore la géographie et l’histoire, qui sont à mon sens, étroitement liés à notre métier. Par exemple, on a sur carte un pigeon André Malraux. D’où ça vient ? Pourquoi ça s’appelle ainsi ? C’est un cercle infini de connaissances. Il y a une notion géographique, puis historique qui découle parfois sur le politique, avant le gustatif. Je séquence l’apprentissage des collaborateurs comme ça. On fait un métier valorisant, de vente et de connaissances.
Quels sont vos ‘mentors’ ?
DA : J’en ai 3 : Laurent Campagnol, Estelle Touzet et Olivier Alglave. Un mentor est un exemple. Tu t’inspires de chacun. Laurent m’a appris les bases du travail. Estelle m’a apporté son regard aiguisé, pointu, tranchant, à faire du sur-mesure. Olivier m’a insufflé une vision à 360° d’une salle de restaurant – avec des compétences à la fois en service et en sommellerie. C’est lui qui m’a justement ouvert les yeux sur la polyvalence du service. Ce n’est pas parce que je suis à un poste de direction, que je ne pourrai pas avoir un quatrième mentor…
Quelle est votre vision du manager que vous êtes devenu ?
DA : J’aime bien inverser les rôles. Peut-être que mon adjoint peut m’apporter des choses, et être ce quatrième exemple. Dès fois, j’entends avec stupéfaction des professionnels dire : « Moi, j’attends ça de mon apprenti. ». Mais justement, toi, est-ce que tu t’interroges sur ce que l’apprenti attend de toi ? La pyramide se retrouve inversée.
Ce métier apporte-il de l’assurance ?
DA : Oui bien sûr, il faut cependant faire attention à ne pas trop en avoir. Nous ne sommes pas des stars. Ce que je reproche dans ce métier, c’est qu’on a des connaissances, on côtoie parfois des célébrités. On fait des choses hors du commun, donc du coup on se dit : « je suis hors du commun ». Mais pas du tout en fait ! Il faut rester humble.
Vous avez évolué professionnellement grâce au bouche-à-oreille. Est-ce nécessaire d’avoir un carnet de contacts ?
DA : Oui, c’est important de se faire reconnaître. Mais on ne sauve pas des vies. On sert à manger et à boire aux clients, à nous d’articuler cela sur quelque chose de raffiné, chaleureux et bienveillant. Le bouche-à-oreille, c’est ce qui fait fonctionner une carrière. C’est valable en restauration comme dans d’autres secteurs d’activités. Tu valorises ton nom propre, et aussi l’entreprise que tu représentes. Il ne faut jamais partir en mauvais terme. Faire preuve d’empathie, savoir composer. Le milieu est petit. Tes collaborateurs passés sont potentiellement tes collaborateurs futurs.
Avez-vous des objectifs professionnels ?
DA : À moyen terme, j’aimerai arriver sur un poste de directeur de la restauration dans un hôtel. En étant dans la sommellerie avant, puis en salle aujourd’hui, j’apprécie avoir une vision à 360° et globaliser un service. La chance et l’opportunité, tu peux les avoir ; j’espère seulement avoir le niveau pour y prétendre. J’ai encore le temps d’y penser.
Un conseil pour un jeune ?
DA : Les débuts sont assez compliqués, car c’est un nouvel environnement professionnel et culturel. Mais si tu ne lâches rien, tu te démarques rapidement. Se donner les moyens de réussir, c’est le temps. Tu ne peux pas faire tes simples horaires de service. Il faut donner de son temps personnel. Choisir la bonne entreprise, pas forcément étoilée. Il y a de supers formateurs dans des maisons traditionnelles en province ou à Paris.
Sa bio, en dates :
- 1992 : naissance à Toulouse (31)
- 2009 : baccalauréat technologique au lycée hôtelier de Toulouse (31)
- 2010 : mention complémentaire sommellerie au CFA de Blagnac (31) ; apprentissage à L’Arôme et le Grain à Labège (31) ; lauréat (sommelier) en binôme du trophée André Daguin
- 2012 : BP sommellerie au lycée Albert Bayet à Tours (37) ; lauréat national des Olympiades des métiers en sommellerie
- 2013 : chef de rang-sommelier au Sur Mesure, Hôtel Mandarin Oriental à Paris (Ier)
- 2014-2015 : assistant chef sommelier, puis chef sommelier à l’Hôtel Le Meurice à Paris (VIIIe)
- 2016 : chef sommelier au restaurant Le 1920, Four Seasons à Megève (74)
- Depuis novembre 2018 : directeur de salle chez Lasserre à Paris (VIIIe)
1 commentaire
Une interview très intéressante notamment sur l’importance d’avoir un mentor.