Le 31 juillet prochain, Gérard Margeon, chef sommelier exécutif d’Alain Ducasse depuis 30 ans, quittera ses fonctions. Il prépare son départ aux côtés de son successeur, Bernard Neveu, arrivé en début d’année.
« Quand j’ai accepté de rejoindre Alain Ducasse, je me suis dit : « Soit j’y reste 30 jours ou bien 30 ans », sourit Gérard Margeon. Le 29 mars, j’ai fêté mes 30 ans à ses cotés ! Avec le chef, tu n’es pas à l’essai. Il fait une telle confiance à ses collaborateurs… Quand tu es embauché, c’est définitif et c’est lourd de responsabilités. » À 62 ans, le « Monsieur vin » du Groupe Ducasse Paris, qui gère 34 adresses dans différents univers (du bistrot à l’étoilé) et à travers le monde, laissera la main à Bernard Neveu à partir du 31 juillet 2024. Mais les deux hommes s’appliquent déjà à une transition en douceur depuis le 2 janvier dernier. « Il faut au moins 6 mois pour avoir toutes les informations afin d’endosser ce nouveau rôle de chef sommelier exécutif du Groupe Ducasse Paris, confie Gérard Margeon en regardant son successeur, de 20 ans son cadet, l’oeil complice. J’ai aussi 3 gros dossiers à rendre avant l’été : des cartes des vins pour des ouvertures importantes à Paris, Naples et Rome. Je voulais m’en occuper jusqu’au bout et délivrer le travail à 80% aux côtés de Bernard avant mon départ.
Avoir les codes du raffinement
Natif de la Rochelle (17), Bernard Neveu a précédemment été le chef sommelier d’un palace parisien durant 7 ans. Il a aussi mené une carrière dans de jolies maisons comme l’hôtel Evian Royal Resort (74) ou encore dans les restaurants doublement étoilés du Clos de la Violette à Aix-en-Provence (13) et du Château Saint-Martin & Spa à Vence (06). « Je suis ravi d’intégrer ce groupe construit par Alain Ducasse. Il est un bâtisseur hors norme, un visionnaire, et a toujours une longueur d’avance. Je suis également reconnaissant d’avoir sa confiance, qui m’apporte de fait une certaine pression. Je vais m’attacher à poursuivre ce qu’a imaginé Gérard avec un fil conducteur Ducasse Paris pour chacune des cartes des vins« , explique le quarantenaire. Son expérience à superviser différents points de restauration et sa maîtrise des codes du luxe ont penché dans la balance. « Chez nous, il faut avoir les codes du raffinement, ajoute Gérard Margeon. Philippe Bourguignon, ancien chef sommelier et directeur général du Laurent, a aussi été un trait d’union entre Bernard et moi. »
Depuis janvier, les deux hommes ne se quittent plus. Ils partent dans le vignoble ensemble. Ils organisent des dégustations pour les 80 collaborateurs sommeliers du Groupe. Ils visitent les différents établissements en France ou à l’étranger… Mais le plus important dans l’apprentissage de ce nouveau poste, « c’est le personnel qui représente 50% de nos soucis ! », admet Gérard Margeon, qui insiste auprès de Bernard Neveu sur la nécessité de s’adapter aux collaborateurs. Il lui donne ses rouages, ses expériences vécues et passées – comme sa mésaventure à New-York en 2000, où il décide d’importer du vin de France par ses propres moyens pour le premier 3 étoiles du Groupe Ducasse Paris. Une erreur. « J’ai mis deux ans à rattraper le tir. Ça été une grande leçon. Il faut acheter sur le marché local de chaque pays où nous sommes ! On ne travaille pas de la même manière au Japon qu’aux États-Unis, en Angleterre comme en France », dit le Beaunois.
« Je suis très sensible au vocabulaire«
Aucune journée type n’existe. Le jour de notre interview sur le bateau Ducasse-sur-Seine, Gérard et Bernard font une dégustation des bouteilles ouvertes pour les vins au verre. « Ça nous arrive de faire des visites « mystère » auprès des équipes pour voir si tout est en règle », disent-ils. Le lendemain, ils tenaient une dégustation aux Ombres du Musée Jacques Chirac en présence de 12 sommeliers du Groupe. « On les fait travailler sur l’argumentation commerciale. Je suis très sensible au vocabulaire. Sans cela, on ne peut pas bien vendre, dit Bernard Neveu. On leur demande aussi de nous faire des propositions d’accords. Car pour être convaincant auprès du client, il faut être convaincu ! » Dans ce poste de chef sommelier exécutif, la multiplicité des adresses – du bistrot à la brasserie, en passant par la haute gastronomie – implique de s’adapter, d’être parfois « politique ». L’agenda impose également d’être au siège d’Issy-les-Moulineaux (92) pour traiter le « back-office », comme lors de cette période des inventaires des cartes vins qui dure les 10 premiers jours d’avril. Un rythme auquel Bernard Neveu est déjà très à l’aise, favorisé par le soutien de son prédécesseur. Le 31 juillet prochain, Gérard Margeon quittera donc ses fonctions. Et l’après ? Hormis ses activités de consulting, comme sa participation à la cuvée French Bloom « Vintage » 2022 (premier vin effervescent sans alcool) qui sort le 15 avril, il gardera un rôle de conseil pour les sujets personnels du chef Alain Ducasse. « 30 ans, c’est quasiment toute une carrière. On ne tourne pas la page si facilement, encore moins quand nos maisons de vacances sont à quelques kilomètres l’une de l’autre », sourit-il. Souhaitons le meilleur à son remplaçant, Bernard Neveu, dans ce nouveau défi !