Après 4 ans de travaux, le MOF maître d’hôtel et professeur de restaurant Gil Galasso a soutenu sa thèse sur l’Art de la découpe à table sur la période 1700 à 2017, à l’Université Bordeaux-Montaigne. En présence de 100 professionnels, il a été désigné docteur en histoire contemporaine, tout en faisant rentrer son travail de 790 pages – une première pour les métiers de salle – dans le domaine universitaire.
« C’est l’un des moments les plus éprouvants de sa vie. » Caroline, l’épouse de Gil Galasso, met en condition la centaine de personnes – professionnels, professeurs de restaurant, doctorants, famille et amis – venue assister à la soutenance de la thèse sur « L’Art de la découpe à table – trajectoire de 1700 à 2017 » à l’Université Bordeaux-Montaigne (33). Ce 11 septembre met fin à 4 ans de recherches sur l’histoire de la découpe dans les restaurants. L’oral est structuré en deux temps : la soutenance de Gil Galasso en 20 minutes ; suivie de questions-réponses par chacun des 5 membres du jury pendant 1h40. Dos au public et face aux universitaires, le Meilleur ouvrier de France 2003 et professeur de restaurant a eu la lourde tâche de résumer son travail de 792 pages (très précisément) et d’en expliquer la construction et l’aboutissement. Il a d’abord indiqué avoir eu le « désert du doctorant », entendons par là que son sujet donnait hélas lieu à peu de sources. « J’ai dû chercher dans les vieux manuels, les interpréter, les comprendre. J’en retiens deux qui m’ont beaucoup aidé : le Benardi (1845) et le Mazetti (1975). Mais ce sontsurtout l’interprétation de gravures et de tableaux qui m’ont permis de retracer l’histoire de la découpe, notamment au 19èmeet 20ème siècles : par exemples, Le service au Savoy (1890) où figurent des pièces entières et un travail au guéridon ou au buffet en salle », détaille t-il. D’autres sources par exemple sous forme de cartes postale lui ont permis de comprendre l’organisation des restaurants par exemplesalle à manger du Grand Hôtel de Cabourg (1907)
Technique « à la volée » : des disparités entre 1800 et 2017 ?
Sa thèse se fonde sur 3 parties, qui chacune sortent du terrain de l’histoire pour aller dans celui de l’archéologie, de la sociologie, de l’ethnologie et de l’esthétique. La dernière partie s’appuie sur les sources citées précédemment, mais aussi des entretiens semi-directifs et des questionnaires – auprès de personnes ou d’établissements ayant un lien avec la découpe en salle. Gil Galasso s’est longuement attardé sur la photo (1982) de Jean Chêne, un ancien professeur d’école hôtelière qui évoquait en 1982 le mythe technique « à la volée », c’est ce qui a donné l’envie à Gil de retrouver cette technique perdue. D’ailleurs, il fait de cette découpe, son « cheval de bataille », notamment en créant en 2016 un concours dédié, Trophée René Lasserre, en clin d’oeil au travail de salle qui se faisait jadis dans ce restaurant parisien. Il prône que la gestuelle et l’esthétisme de la découpe doivent être prioritaires sur le côté pratique. Jean-Pierre Poulain (Université de Toulouse), l’un des membres du jury lors des questions-réponses, l’interpelle sur certaines hypothèses : « Cette technique de planter la fourchette dans la cuisse du poulet doit-elle encore être d’actualité aujourd’hui ? Et la carcasse de cette volaille est-elle la même en 2017 par rapport à 1800 ? L’élevage est-il identique ? »Pas évident, en effet, de remonter 3 siècles d’histoire sur un sujet aussi précis (et peu valorisé ?) que la découpe. Ce que Christophe Bouneau (Université Bordeaux-Montaigne), son directeur de thèse, félicite et approuve : « C’est une aventure de rendre un tel travail en deux ans en histoire contemporaine. Vous parlez d’histoire au sens large : technique, économique, sociale et culturelle, mais aussi professionnelle – comme la servitude de la salle confrontée au toqué de la cuisine ; c’est un jeu de mots bien entendu. {…} »
Un « travail original voire hors norme »
S’il fallait brièvement comprendre l’évolution de la découpe en salle de 1700 à 2017, citons l’époque faste du 17ème, 18èmeet 19èmesiècles avec des pièces entières et un sens noble pour le métier de maître d’hôtel ; tout comme le début du 20èmeavec des responsables de salle-patrons réputés tels René Lasserre, Jean-Claude Vrinat, Claude Terrail… ; l’arrivée de la nouvelle cuisine au milieu du 20èmeet du service à l’assiette entrainant la diminution des techniques ; le 21èmesiècle – les émissions TV, la médiatisation des chefs et leur individualisation – au détriment des métiers de salle, malgré une effervescence des professionnels actuels. « Votre expertise technique, celle d’avoir été un professionnel de terrain, a été mise au service d’une expertise historique, a commenté Jean-Pierre Williot (Université de Paris-Sorbonne). Vous n’aviez pas besoin d’un énième titre {après celui de MOF, NDLR}, mais vous vouliez avoir une reconnaissance en plus, celle d’un travail universitaire qui est de qualité. » Ce « plus », Gil Galasso, qui s’est continuellement formé- licence et master -,s’y donne depuis des années. Passionné, intrépide tellement il déborde d’idées ou de projets tout azimut, combattif sur certains sujets, il a réussi à faire rentrer l’Art de la découpe à table – et plus largement les métiers de salle – pour la première fois à l’Université. Un « travail original voire hors norme », décrit Marie-Christine Bouneau, président du jury, qui, au terme d’une après-midi de soutenance, le proclame officiellement… docteur en histoire contemporaine.
Il a dit :
François Pipala, MOF : « Notre profession doit perdurer et nous avons besoin d’une nouvelle essence pour la redynamiser »
« Le travail réalisé par Gil Galasso est fantastique ! Notre métier, plus que jamais, a besoin de soutenance comme celle-ci. Car notre profession doit perdurer et nous avons besoin d’une nouvelle essence pour la redynamiser. C’est avec des professionnels passionnés que l’on arrivera à faire revivre le métier. Il est vrai que dans beaucoup de maisons, le service et l’art du service sont sortis de nos salles à manger. On est devenu trop souvent des porteurs d’assiettes. Aujourd’hui, il faut redonner une âme, de façon à ramener vers nous une jeunesse et renouveler ces passions. La génération dont je fais partie, nous l’avons dans nos maisons mais elle ne doit pas s’éteindre. Toute l’importance du travail de Gil Galasso réside là-dessus. Ce n’est pas, à mon sens, une reconnaissance qui est recherchée, mais une dynamisation de notre profession. Et c’est ça qu’il faut promouvoir. »

Avec François Pipala, Gil Galasso, Marie-Christine Bouneau, Yves Cinotti, Serge Goulaieff.
Ils y étaient…
5 MOF maîtres d’hôtel : François Pipala, Jean-Pierre Déquesnes, Serge Goulaieff, Sylvain Combe, Didier Lasserre ; Jean-Pierre Garnier, André Soler (coupe Georges Baptiste) ; Professionnels et professeurs – Elsa Jeanvoine, Arnaud Enjalbert, Esteban Valle, Anthony Hubault, Robert Desbureaux (UDSF), Synthia Cazalens, Olivier Jacquin, Jacques Coussau, Benoît Sauviat, … ; Jerôme Muzard, Franck Philippe (IEN) ; Francis Attrazic (Maître restaurateur) ; Bruno Morlet (IUFM Antony) ; etc.

Avec les membres du jury, et quelques professionnels de salle.

Didier Lasserre, MOF.

Sylvain Combe MOF.

Arnaud Enjalbert.

Photo de groupe.

Le Grand Hôtel de Cabourg (1907).

Le service au Savoy (1890).
Sur le même sujet :
Qu’est-ce que le « service à la Française » ?
Antoine Desmoulins est vainqueur du Trophée René Lasserre 2016
8 commentaires
Merci beaucoup à Hélène Binet et Un Oeil en salle. Toute la profession est enfin reconnue par l’Université !
Voici les photos prises par Frison Florence et Clarisse Galasso
https://thesedecoupes.wordpress.com/2018/09/13/photos-de-la-soutenance-de-these-gil-galasso-histoire-de-lart-de-la-decoupe-a-table-trajectoires-1700-2017-universite-bordeaux-montaigne-11-septembre-2018/
Merci à toutes et à tous,
Cordialement,
Gil Galasso
Merci Anne pour ce bel article sur Gil Galasso qui va laisser une trace indélébile pour les générations futures tout en ouvrant de nouvelles pistes de travail et perspectives .
A bientôt
Bises
Jean Pierre
Merci Jean-Pierre pour ton suivi et ta fidélité à Un oeil en salle !
A bientôt,
Hélène
Sur la première photo ou apparaissent les noms de François Pipala, Gil Galasso, Marie-Christine Bouneau, Serge Goulaieff, il manque celui de Monsieur Cinotti Yves docteur en science du tourisme de l’université Jean Jaurès de Toulouse.
Merci de l’ajouter
Bonjour,
Merci pour ce retour, c’est rectifié.
Un oeil en salle
Merci beaucoup pour ce très bel article. Bien évidemment j’adresse toutes mes félicitations à Monsieur GALASSO. Avec ce titre, un grand pas vient d’être franchi pour la reconnaissance de notre belle et noble profession. BRAVO !!! Monsieur Galasso
Je profite de ce message, pour transmettre mon meilleur souvenir à Serge Goulaieff. Un de mes anciens étudiants
Avant toute autre considération, il me semble souhaitable de conserver la reconnaissance officielle d’une maîtrise professionnelle accomplie et enviée à travers le monde entier. J’en veux pour preuve la sollicitation dont nous sommes régulièrement l’objet pour aller montrer toutes les richesses de notre patrimoine à l’étranger.
Réaliser un service comme dans les années passées ne m’apparait pas réaliste mais de façon raisonnable il y a mieux à faire
Dans ce contexte, fallait-il abandonner certaines spécificités qui sont les nôtres sous prétexte d’adaptation à une modernité, que l’on peut supposer être dictée par des considérations, soit de gains de temps, soit de gain d’argent ?
Faut-il s’aligner sur des phénomènes de mode tels qu’on peut les découvrir à travers les médias : le foie gras en émulsion…la tomate à « sniffer » ou le vin « affiné » aux copeaux de chêne ? A mon avis, tout cela n’est pas bon signe !
Ce qui incite et ce que retient le client : c’est la qualité du spectacle et la prestation de l’artiste. Il faut aussi s’adapter surtout sur le timing, et donc revoir les techniques sans faire de la cuisine en salle comme le soulignait en son temps et à juste titre Yves Cinotti.
Le travail de Gil Gallasso est remarquable et j’espère un jour lire cette thèse où il a évoqué le passé et il a soulevé et souligné le manque actuel de considération et donc de reconnaissance. Si des efforts sont à faire sur les horaires (eh oui encore !!) sur les rémunérations du personnel de service (la loi Godart prévoyait justement un pourcentage) de gros efforts doivent permettre de mettre plus d’animation et d’innovation et par conséquent plus d’intérêt dans notre travail. Ceci n’écarte pas les différentes qualités dont il faut faire preuve : rigueur, tenue et élégance, pratique des langues, sens de l’accueil et de la vente, connaissance des produits servis…etc. c’est ce que nos chefs de cuisine appellent le valorisation de leur produit.
Peut être que les jeunes y verront un attrait et reviendront plus nombreux vers notre métier car il y a urgence si je me fie au nombre d’emplois vacants.
Merci Gil de ton invitation, j’ai dégusté tes paroles et celles des jurys.
Un grand honneur pour notre profession, l’entrée de notre histoire à l’Université. Merci à toutes et à tous. Pour ceux qui n’ont pas pu se déplacer voici la vidéo de la soutenance : https://thesedecoupes.wordpress.com/2018/09/15/video-soutenance-de-these-de-doctorat-histoire-contemporaine-histoire-de-lart-de-la-decoupe-a-table-trajectoires-1700-2017/